[Clip] – All I Want, c’est du Boys Noize !

Boys Noize - All I WantLes réseaux sociaux vous rongent la vie ; les téléphones intelligents vous abêtissent. Je sais : difficile, de se rendre compte que 6 heures de cerveau disponibles passent à la trappe tous les jours, n’est-ce pas ? Vous le savez, et pourtant, vous recommencez inlassablement. Boys Noize est là pour vous rappelez à l’ordre : vous voulez devenir ce que vous ne pouvez être, posséder ce que vous ne pouvez pas avoir. Alors que vous ne voulez qu’être aimé. Vous vous y prenez mal. Comme un enfant, vous souffrez en vous-même, meurtri dans un état stationnaire. Puis devenez docile, spectateur du même écran aux alouettes. La vie continue… jusqu’au jour où celle-ci passe à côté de vous. Et c’est la fin.

All I Want essaie de vous montrer le chemin ; ou plutôt, celui qu’il ne faut pas suivre. Ne prenez pas ce son pour un bruit blanc, il pourrait bien vous éviter une vie au rabais. D’où vient ce morceau ? D’Alexander Ridha, éminent producteur et DJ étoile prisée de l’underground dominant une musique électronique dure et nihiliste, mais à hauteur d’oreilles. Tout du moins, celles prêtes à se faire bousculer. Allez, plus qu’un petit pas à faire… Je suis persuadé que vous êtes capable d’aller au bout de cet article. J’ai confiance en vous, vous êtes sur la bonne voie…

Bon sang de bon son

Où situer la musique de Boys Noize ? Nulle part et partout. Ou plutôt : à l’embranchement de plusieurs géographies. Antenne germanique de l’approche bruitiste des Justice, SebastiAn et de Mr. Oizo (avec qui il a monté un groupe éphémère), admirateur de la french touch originelle autour de laquelle il gravite sans pour autant se fondre dedans, tout autant que de l‘acid house néerlandaise et la techno de Détroit, le son de Boys Noize constitue un modèle de cohérence dans d’évolution. Proche des productions sombres du label Turbo Recordings de Tiga, mais évitant à chaque fois de tomber dans l’abstraction étrange des Crookers, son approche musicale et dub de l’électronique le positionne en cousin germain des français Gesaffelstein ou Brodinski. La violence punk héritée de The Prodigy et de The Chemical Brothers, en plus. Et ça, ça fait très mal.

Ce n’est pas pour rien que des groupes venant aussi bien de la new wave (Pet Shop Boys, Depeche Mode) que des métalleux (Marylin Manson, Rammstein) ont fait de lui ce qu’on appelle un « fatal remixer« , se reconnaissant des atomes crochus avec sa musique sans concession. Froide et remuante, tentant même des accointances avec la trap ou le disco, elle donne envie au CSP+ à l’emploi ennuyeux de fuir sa routine. De troquer sa chemise premier prix par un brillant cuir. De sombrer dans la nuit. De défier l’interdit, celui des combats clandestins sentant la chair et la sueur. De voir sa tête de minet gicler sur le sol. Bref, se sentir vivant : welcome to the Fight Club.

Si le roman de Chuck Palahniuk et son adaptation filmique ne se déroulaient pas à la fin des années 1990, c’est probablement vers cette musique contestataire (et pourtant presque muette de mots) que se tourneraient Tyler et son double. La musique de Boys Noize vous martelle les tympans d’un message secret. L’électro est révélateur (et on peut généraliser cette remarque à d’autres artistes autres), au sens chrétien du terme : c’est par ce qu’il révèle – la répétition ad nauseum d’un monde tayloriste en déroute, celui des choses humaines et objets manufacturés – que cette musique tente de réveiller le mort qui a l’emprise sur vous. Un peu comme le pop art d’Andy Warhol, elle fait absolument corps avec ce qu’elle dévoile… et hait (seul point de divergence avec le cas de Warhol, qui lui célébrait l’interchangeabilité) : une rythmique industrielle, mécanique et sérielle, celle des machines à monter les voitures. Et pourtant, une musique … à en réveiller les corps. La rencontre de l’électrique et de l’organique, pour justement le faire sortir de l’état de ressource humaine : mole, docile, servile. Son objectif est d’allumer un feu en vous ; de donner à entendre les choses qui dérangent. All I Want et son excellent clip abondent dans ce sens.

Le désir comme impératif

Boys Noize a fait des infidélités à son propre label, préférant la légendaire maison Defected Records (là encore, nom révélateur) avec son EP Strictly Bvncker. Il réitère avec la sortie d’All I Want. Il se trouve que cette piste avait longtemps été délaissée dans un fond de panderie, jusqu’à avoir même été… perdue par Boys Noize, trop occupé à  collaborer avec Jean-Michel Jarre, à monter un groupe avec Skrillex ou à produire l’album de Lady Gaga (vous aurez noté la prolixité du garçon). Le dégingandé chanteur pop-rock des Scissor Sisters, assortit sa voix avec ce morceau pourtant très froid et électrique. On en demandait pas tant pour susciter notre attention.

Comme évoqué précédemment, la musique électronique a pour leitmotiv la répétition des rythmes pour soulever le voile des choses pas agréables. Le titre est entrainant, avec ses bruits machinés, et une ligne future bass qui picotent. Mais surtout, c’est la voix désespérée de Jake Shears qu’on retient, scandant son désir d’être aimé, et une autre, de stentor, brutale et d’une froideur salace, tout droit sortie d’un porno. On se demande d’ailleurs si celle-ci n’a pas été prélevée par Reid sur Pornhub, ou s’il s’agit d’une variante de la voix efféminée de Shears. Le morceau, si on s’y penche deux secondes, est d’une cruauté accentuée par son hilarant clip.

Que voit-on ? Un freak. Une parodie de virilité, soumise à un impératif de performance, comme l’attend de plus en plus le royaume de l’image, cette fabrique à malheurs. Un idéal de beauté dans sa triste laideur : solitaire, mutique… et pourtant, en terrible défaut d’affection. C’est le spectacle absurde d’une tristesse contemporaine qui est recherchée ici par l’excellent réalisateur Dan Streit, spécialiste du clip indisposant. On pense d’abord au Patrick Bateman de American Psycho, tant le personnage de Bret Easton Ellis souffrait d’être devenue une incarnation de la superficialité et de la réussite, enrageant dans sa cage dorée de ne pas être reconnu pour ce qu’il est : un individu. Puis, l’ultra-violence du livre n’étant pas au rendez-vous, celle-ci est remplacée par des situations crues et grinçantes de la vie de tous les jours. On en vient alors à penser… à nous, aux aspects les plus honteux de nos vies 2.0, dans ce monde devenu intangible. Quand on voit notre personnage commencé à effectuer des prestations athlétiques auprès d’une libidineuse de 3ème âge, qui pourrait provenir du film Paradis : Amour d’Ulrich Seidl (une satire sulfureuse sur le tourisme sexuel allemand en Afrique), on ne peut s’empêcher d’être saisi d’un certain malaise.

L’écran aux alouettes

Nous voici arrivés dans le domaine du simulacre, celui du faux-semblant. Une société pour qui tout corps est chosifiable, mais qui enferme les êtres dans un mensonge, leur refusant de ne plus être un point de passage du leurre. La beauté Instagram se délabrera ; les écrits Twitter se noieront ; les « amis » Facebook s’évaporeront. On naît et meurt (encore plus) seul aujourd’hui. Ainsi va la vie à l’ère numérique. Il ne reste plus qu’à s’attacher à la possibilité d’un bastion restreint, celui de l’amour. Et encore : si seulement notre écervelé pouvait le savoir… Déterminé par une société des loisirs sans plaisir, ou du moins n’en ayant que la plastique, notre culturiste borné finit comme il a commencé : seul. Quelques mots concernant le stock de remix. La 2nd version dite NRG, par Boys Noize lui-même, accentue le sentiment d’angoisse sociale et de vide existentiel. Alors que l’établi Purple Disco Machine garnit la piste de sonorités 80’s, allant à l’encontre de l’interprétation originale donc, plus propice aux soirées péniches. Quant à la version de DJ Tennis, elle ne fait que réagencer la piste source, l’oxygénant peut-être quelque peu : peu d’intérêt, en substance.

Exploitant les vicissitudes du narcissisme ou de l’ensauvagement (Cerebral) en musique, Boys Noize nous prouve que l’électro peut être pratiquement dénué de mot, mais pourvu de sens, si ce n’est de sons. Devant un tel spectacle, on ne peut s’empêcher d’arracher un rire, mais d’un rire essuyant une larme de pitié. Et une envie furieuse de sortir de cette spirale en détalant. Vous avez votre chance, saisissez-là : écoutez Boys Noize ; sauvez votre vie.

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