King Krule / Space Heavy
[XL Recordings]

8.7 Note de l'auteur
8.7

King Krule - Space HeavyL’émergence de King Krule/ Zoo Kid dans les années 2010 avait soulevé chez nous des espoirs délirants et dont on se souvient encore aujourd’hui. On rêvait que ce jeune rouquin d’à peine vingt ans révolutionne le trip-hop, mêle le rock et les beats en entonnant des titres sombres et classe d’une voix de baryton profonde et chaude comme l’Ovomaltine de Ian Curtis. En 2023, King Krule a fait un peu moins et un peu plus que ça. Il a suivi sa voie, refusé quelque révolution que soit, refusé aussi de signer des hymnes à entonner sous la douche ou même les chansons mémorables mais continué de tisser et d’approfondir des ambiances chaleureuses, tristes et réconfortantes à la fois, où sa voix nous accueillait pour pleurer de béatitude. Son quatrième album n’est ni plus ni moins que la prolongation du travail entamé depuis Six Beneath The Moon par d’autres moyens. Sous ses allures galactiques (la pochette, les titres spatiaux), Space Heavy est un voyage en apesanteur entre Londres et Liverpool. Marshall vit désormais entre les deux villes anglaises et ce sont ces transhumances entre les deux grandes villes anglaises que décrit la musique baladeuse et badine de ce disque magnifique.

Man Alive!, le précédent disque studio de King Krule, était plus sec et abrupt. Celui-ci est paisible, plaisant et cotonneux comme on l’aime. On y retrouve les ambiances oniriques et intemporelles qui sont la signature du bonhomme, magnifiquement orchestrées et arrangées entre jazz et électro comme sur l’ouverture Flimsier. Il se dégage, comme sur les albums précédents, une vraie liberté de composition sur ce disque qui confine souvent au n’importe quoi, ouvrant une sorte de fenêtre vers un genre nouveau le free-hop, entre free-jazz/blues et trip-hop. On a rarement croisé un morceau aussi déstabilisant que Pink Shell qui se termine après une cavalcade punk assez dingue sur trois notes de sax qui rappellent le… générique des Simpson. On avait déjà trippé sur l’excellent Seaforth dont la justesse et la beauté sentimentale se renforcent à chaude écoute. Le disque est à la fois roboratif (15 plages) mais peu bavard (44 minutes au compteur), comme si King Krule s’attachait à déposer des vignettes à nos pieds, à ouvrir des fenêtres mentales sur des décors, des passages fugitifs, des situations sans vouloir trop en dire. Il y a une beauté suggestive ici qui tient du miracle et transcende les meilleures pièces à l’image de l’un de nos morceaux préférés : That Is My Life, That Is Yours, balade nocturne splendide qui étrangement (et sans rapport évident) nous fait penser aux ambiances urbaines des premiers Pulp (Blue Girls, etc).

I don’t know where you are tonight
My lost love
I searched all day and through the night
And up above
I asked the florist for a light
Outside a club
He told me maybe you’re inside
But no luck
I took the bus to Bishopsgate
And opened up
Night was warm

On dérive avec délice avec Tortoise of Independancy, on chantonne la ritournelle-refrain de Empty Stomach Space Cadet comme si elle dissimulait, tout derrière, un tube imparable. King Krule signe plusieurs grands titres contrariés qu’il choisit de ne pas exposer au premier plan mais de laisser comme en sommeil sous-jacents et comme cachés sous un léger brouillard pour les protéger. La léthargie musicale ne cache aucune paresse ou faiblesse de l’auteur mais contribue à construire l’ambiance, à la densifier, à les complexifier. Flimsy est plus rythmé, rappelant les productions de Tricky, avec lequel King Krule partage le sens de la dissimulation.

Contrairement à ses précédents disques, il n’y a pas de titres de remplissage ici ou qui n’iraient nulle part. Tout est impeccable, varié. Les dynamiques sont passionnantes, même si parfois soutenues par une simple ligne de basse (From the Swamp) ou une sirène chantante (Seagirl). Ce morceau est, à notre connaissance, la première fois où King Krule partage le chant avec quelqu’un (Raveena, chanteuse new-yorkaise) ce qui ouvre des perspectives de renouvellement infinies (et qui nous ramènerons comme de bien entendu à… Tricky qu’on évoquait plus haut).

Les charmes du disque sont inépuisables et on peut sans prendre trop de risques le considérer comme le plus riche, le plus abouti et le plus séduisant de toute l’œuvre du jeune homme depuis ses débuts. On peut s’endormir un peu sur Our Vacuum mais cela ne dure pas bien longtemps. Space Heavy est une tuerie, fendue à la hache punk en son milieu. Le minimaliste de When Vanishing est un complément parfait à la dérive paresseuse de If Only It Was Warmth, morceau en demi-teinte, dont l’intérêt est de faire briller un final voyageur et hypnotique.

Space Heavy (l’album) fonctionne comme un voyage où le sentiment d’exaltation se ressent peut-être plus au début qu’à l’arrivée, comme si la fatigue et l’humeur devaient l’emporter sur la force de la destination. Le disque est complet, passionnant, millimétré dans sa manière de jouer avec des ambiances atones, de les fracturer, des les éclairer et de les révéler de l’intérieur. On y retrouve la complexité, mais aussi la séduisante évidence, du Marshall des débuts, cette magie singulière où l’écriture fait autant de bien au morceau que la voix elle-même. Ce disque a beaucoup à dire et agira longtemps.

Tracklist
01. Flimsier
02. Pink Shell
03. Seaforth
04. That Is My Life, That is Yours
05. Tortoise of Independency
06. Empty Stomach Space Cadet
07. Flimsy
08. Hamburgerphobia
09. From The Swamp
10. Sea Girl
11. Our Vacuum
12. Space Heavy
13. When Vanishing
14. If Only It Was Warmth
15. Wednesday Overcast
Écouter King Krule - Space Heavy

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