On parlait il y a peu d’artistes électroniques disparus ou, tout du moins, réduits à une aura moindre que la notoriété de leurs morceaux phares, à l’occasion de la sortie en catimini du dernier album d’Isolée. On pourrait en dire autant de Tristan Garner, dont la carrière, bien que traversée par une certaine discrétion, mérite pourtant bien plus de louanges. Avec de solides hymnes house comme Give Me Love (dont la version la plus connue fût remixée, on a tendance à l’oublier, par Arias) ou le superbe Last Forever avec Norman Doray, il a contribué, avec quelques autres, à imposer solidement la France dans la production internationale house. Et cela au milieu des années 2000, soit très jeune – nous, nous en étions encore à dresser nos cheveux gélatineux en piques. On percevait en lui un Axwell français de par son élégante radicalité house, analogie d’autant mieux appropriée par sa participation au collectif Reepublic, sorte d’équivalent hexagonal à la Swedish House Mafia, mais aventure trop brève. Puis les années 2010 passent ; la scène EDM implose (en particulier) aux États-Unis et en Europe, et pas toujours pour le meilleur. Plus grandes traces du niçois, si ce n’est quelques excursions électroniques osées vers un breakbeat électro-punk et un métier silencieux de producteur additionnel. Après moins de deux décennies de productions éparses, Tristan sort enfin … son premier album. Ô joie, nous l’attendions!
Garner Party
Alors que nous attendions Garner sur un album plus traditionnel, permettant de démontrer ses talents de manière panoramique, c’est par une plus petite porte que le musicien passe : celle de l’album thématique. Au programme : musique à la fois rythmée mais contemplative ; aucun vocal mais beaucoup d’énergie à revendre. The Shape of Wind donne alors l’impression d’un saut en combinaison ailée dans les Alpes, accompagné d’aigles fusant comme les colombes d’un film de John Woo. Tristan n’est pas forcément là pour nous ramener au Métropolis, mais il nous donne des ailes. C’est inattendu, peut-être pas le choix le plus judicieux, mais assurément osé. Si cette musique ne peut aller avec un film, elle pourrait absolument illustrer des vidéo de sports extrêmes, plus particulièrement de neiges, ou alors ces plans statiques de paysages dont la vitesse est accélérée, capturant une journée entière. Et alors que la tentation est grande, celle de tendre vers la trance, genre souvent jugé infantilisant et sollicitatif, Tristan nous surprend avec un mélange de breakbeat et d’ambient tout en allant piocher chez des artistes hyperboréens aussi divers que Above & Beyond, mais également Ólafur Arnalds ou Bicep. Et cela sans pour autant que Tristan les mime. On prend un grand bol de frais…
Le rendu est très propret. On a l’impression de faire des acrobaties en buvant un p’tit Red Bull glacé lors d’un vol plané. Comme promis, la qualité répond présent, finition à la Garner oblige. Sur Frogs, on plonge dans l’étang parfumé, slalomant à proximité d’attrayantes grenouilles bleues venimeuses. Chaque cellule de notre organisme ouvre les yeux, s’agitant dans une injonction d’existence, ici et maintenant. Nous sommes la proie d’un réveil panthéiste !
Triste de Nice
On a l’impression de marcher là où l’humanité n’a encore osé mettre les pieds, de lutter contre les éléments, avec ce battement quasi percussif rythmant la cadence de la Terra. La poudreuse craquelle, mais on arrive au bout de nos peines ; notre petite bille bleue va nous adresser un nouveau visage d’elle. Sur le bon Nature One, les quelques mouvements de corde trahissent une récente (ré)écoute de l’épique bande-son de Princesse Mononoké par Joe Hisaishi. Ici, elles nuisent au sentiment d’exaltation du frimas. Ce n’est peut-être pas pour tout de suite, le cinéma, mais cela viendra, nul doute. C’est un bosseur. Alors apparaissent les glaciers, les cataractes pharaoniques se jetant des falaises.
Mais malgré la bonne facture, est-ce vraiment un sentiment d’exclusivité, une signature passant à travers ce The Shape Of Wind ? Non, la variété ne semblant assez grande. Beyond, dont on apprécie la froideur toute Eric Prydz-ienne si elle en est, semble une version ralentie du Black Water qui suit. Nous avons cette impression d’un album absolument cohérent, monochromatique, mais pas assez pluriel en son intérieur. Vers la seconde moitié de l’album, on regrettera la survenance de pistes comme Newborn, qui, pour le coup, se distingue en mal, semblant être faite pour habiller des vignettes prônant la nature et le bien-être à l’eau de bénédictin new age, ou une séquence pleurs de télé-réalité. Et puis un jour… rappelle des horreurs mélodramatiques maintes fois entendues sur TikTok, comme So Cold de Ben Cocks ou d’autres. Mais cela reste une vétille. On peut voir en l’album de Garner un versant moins festif et froid du récent Talisman de Fakear. Garner a adopté un angle mélodieux sans pour autant sombrer dans la bouffissure. Le disque aurait pu être tout autre, certes. Il reste néanmoins sa bienfaisance, la satisfaction de voir Tristan franchir le pas du long format.