Laurent Sinclair : on a perdu le garçon

Laurent SinclairDans toutes les représentations filmées en playback de Taxi Girl, Laurent Sinclair est celui qui s’amuse vraiment. Darc et Mirwais sont glaciaux, Wolfsohn navigue dans une autre dimension, Erard joue la posture demandée par le manager Alexis Quinlin. Pas Sinclair : Laurent Bielher, qui détenait également, outre le pseudonyme Sinclair (hommage à la série Amicalement Vôtre et au personnage de Lord Brett Sinclair incarné par Roger Moore), les étiquettes Laurent B. et Captain V2, était l’hédoniste musical du groupe, et probablement, avec le batteur Wolfsohn, le plus mélomane. Il faut dire que dans les années 80, un groupe punk avec un pianiste ?! Car Taxi Girl, dans ses origines, devait finalement moins aux Damned qu’aux Doors. C’est entendu : Laurent personnifiait le Ray Manzarek de cette petite bande issue du lycée Balzac. Ce fut grâce à lui, et à une mélodie écrite sur un orgue Farsifa, que Taxi Girl obtint son seul hit, bienheureux Cherchez le garçon.

Laurent, Monsieur Farsifa. Dans l’ouvrage que Pierre Mikaïloff consacre à Taxi Girl et plus particulièrement à Daniel Darc (V2 sur mes souvenirs, chez Castor Music), Laurent explique, à sa façon, les sonorités du Taxi Girl originel : « Je le louais (l’orgue Farsifa) avenue de Clichy, où le magasin “Musique Location” était tenu par une vieille dame moyennement gentille. Elle avait deux ou trois synthés que j’ai essayés… À l’époque, il y avait vraiment pas grand-chose et je voulais un grand clavier, avec la tessiture d’un piano. Elle avait ça, le Farsifa. C’était aigrelet, mais je commençais à écouter des groupes psychédéliques américains qui utilisaient aussi des Farsifa, et ce son ne pouvait pas mieux tomber pour nous, Mirwais étant un guitariste extrêmement discret. On n’arrêtait pas de lui dire : “plus fort ! ” On voulait de vraies guitares. Donc il y avait beaucoup de place pour le clavier. Et le Farsifa est devenu notre son, mais ça a été un pur hasard ».

Le Farsifa deviendra aussi la raison du clash entre Laurent et la paire Darc / Mirwais. Et du départ de Sinclair. Avec le recul, facile d’imaginer un Daniel aux origines rock, méprisant les claviers et ne supportant plus les morceaux majoritairement synthétiques de son groupe. Laurent se retrouvait, et se personnifiait, dans des chansons telles que Cherchez le garçon ou Triste Cocktail. Daniel, non : il rêvait en Johnny Cash et jouait « dans Duran Duran ».

Brisure définitive : “Devant le miroir”, un titre sautillant, et furieusement new romantics, que Laurent voulait sortir en tant que prochain single. Refus, coups bas, licenciement du Farsifa.

Taxi Girl continuera encore un peu, le temps de quelques chansons mémorables, mais Laurent, lui, ne trouvera jamais, inversement à ses anciens collègues, la reconnaissance qu’il méritait. Il sortira sous son propre nom ce fameux, bien que mineur, “Devant le miroir”, puis disparition – Sinclair, vers 82, avait pourtant produit des 45 tours pour les Tokow Boys et le premier groupe des futurs Enzo Enzo, Korïn Noviz.

Ces dernières années, Laurent publiait quelques photos sur sa page Facebook. Des photos de famille qui le montraient épanoui. Cela nous suffisait : entre le bonheur d’être père, et le plaisir succinct de retrouver Eudeline et Mikaïloff pour une interview de rescapés, Laurent Bielher, pour avoir inventé la musique de notre enfance, méritait bien son petit jardin (chinois ou pas).

 

Crédit photo : capture d’écran d’un document de l’INA.

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