Luke Haines / British Nuclear Bunkers
[Cherry Red Records]

Luke Haines British Nuclear BunkersDans l’état actuel du marché de la musique, les amateurs de musique indé devraient tenir Luke Haines pour un héros international et l’un des derniers hommes libres à bord. Son agenda personnel pour l’année 2015 était truffé de projets aussi dingos et éclectiques qu’il est possible d’imaginer et l’ancien Auteurs s’en est tiré avec un brio insolent. Son micro-opéra sur Mark E. Smith (pas son meilleur disque) a côtoyé un indispensable petit bouquin de recettes de cuisine rock en partie autobiographique, aussi précieux que ses deux livres de mémoire, tandis qu’il sortait aussi un album sur le New York des années 70, Lou Reed et Alan Vega, impeccable. Et puis vient maintenant ce disque principalement instrumental en forme de bande originale synth punk, issu d’une rencontre entre l’angoisse nucléaire et la découverte de vieux instruments. On aurait pu mentionner aussi la série Raving, une cinquantaine de CDs vendus à l’unité et sur lesquels Haines reprenait à la suite une collection de chansons originales en les réenregistrant (sans s’arrêter) à la guitare et au chant, ou encore sa série de peintures qu’il vend (pas forcément très cher) sur le net. Ce type est la liberté incarnée, soutenu alternativement par lui-même (Outsider Music) et sur ses projets les plus importants par les fidèles Cherry Red Records. Bien qu’on ignore complètement ce que l’homme vend encore (sans doute pas tant que ça), il est assez incroyable de voir un artiste de cet âge (pardon pour ça, Haines n’a que 48 ans) aussi prolifique et encore bien inspiré à ce stade de sa carrière. Aujourd’hui, Luke Haines est probablement dans la position qu’il espérait depuis qu’il a renoncé (après l’avoir été en partie) au statut de pop star internationale, au cœur du système subculturel indé. Le bonhomme est tellement féru d’histoire souterraine de la Grande Bretagne et de l’exploration des inframondes culturels qu’il doit goûter son statut si particulier d’épicentre de la marge active.

English version below

British Nuclear Bunkers démarre par un message d’alerte de la BBC recommandant aux citoyens de rester chez eux, de se cacher dans les bunkers, les tunnels de protection, suite à un accident nucléaire. C’est supposément l’apocalypse même si le disque finalement ne véhicule pas tant d’angoisse mortifère que cela. C’est avant tout un album de musique électronique composé à l’aide de synthétiseurs analogiques, de vieux machins que Luke Haines a récupéré et qui lui ont inspiré cet album. A l’oreille, cela ressemble à une rencontre au jardin (pop) d’enfants de Suicide et Kraftwerk. Il y a un côté joueur permanent et une volonté d’économie de moyens manifeste et spectaculairement réussie. Le morceau titre ressemble à un thème de Carpenter pour New York 1997.On est à peu près sûrs que Snake Plissken aurait adoré se dandiner sur ce morceau : c’est un titre étrange, envoûtant et qui repose sur rien. A écouter Haines, on est toujours fasciné par cette capacité à bâtir de la musique sur 2 ou 3 notes. Cette forme de simplicité a pris beaucoup d’importance dans ses compositions au fur et à mesure qu’il explorait les ressorts et les secrets de fabrication des vieux disques de rock ou de punk. Pourquoi est-ce que cela marchait aussi bien avec si peu ? Comment produire autant d’énergie et de force aussi instantanément ? On ne passera pas tous les titres en revue mais chacune des 10 pièces de cet album est en elle-même un petit joyau. Camden Borough Control est animé par une vivacité mélodique qui repose en partie sur un thème leitmotiv qui court sur plusieurs titres. C’est un petit motif pop entêtant qui fait penser pour les oreilles français aux meilleures inspirations de Taxi Girl. Il faut attendre la chanson 5, Cold Field Morning Under Bliss, pour entendre la voix de Haines pour la première fois. On la retrouvera ensuite sur un seul morceau chanté. L’album est à la fois mélancolique, post-industriel et très chaleureux. C’est bien sûr un album qui évolue en terres d’étrangeté mais on sent sur chaque note une sorte de tendresse, d’attention et de nostalgie (nos peurs ont évolué et celle de la catastrophe nucléaire a quasi disparu des angoisses populaires, entraînant avec son oubli toute l’imagerie qui allait avec) pour cette période où passer quelques mois sous terre pour sauver sa peau était une alternative pas si farfelue et irréelle. Mes propres enfants (c’est dire) adorent mêler leur voix au chœur qui entonne Pussy Willow, une petite comptine qui intervient plage 7. Les chœurs d’enfant sont le péché mignon de Haines depuis des décennies. Il les maîtrise à la perfection. Et puis il y a le phénoménal Mama Check The Radar At The Dada Station qui est un titre de house punk incroyable venu tout droit des années 80s. Techniquement, on pourrait appeler cela du proto-electro punk ou juste ce qu’il y a de plus proche d’une attaque sonore terroriste. C’est un morceau qui donne une bonne idée du caractère transgressif et audacieux de cette musique pour nos oreilles commercialement civilisées.

On en restera là. British Nuclear Bunkers n’est rien moins qu’un chef d’œuvre. C’est une petite pièce électronique, probablement concoctée avec assez peu de moyens et une poignée d’instruments vintage, de la manière dont on faisait les disques à une époque lointaine et de la manière dont, j’espère, on continuera de les fabriquer pendant longtemps encore. Il est important que les musiciens, que les fans, que le public et quiconque est intéressé par ce que signifie aujourd’hui produire de la musique prenne du plaisir et écoute ce genre de disques. On a dit des centaines de fois que la scène indie devait se réinventer dans ses moyens de subsistance pour survivre au contrecoup de l’apocalypse musicale sans perdre son âme. Luke Haines fait de plus en plus, en la matière, figure de reclus sur la colline ou de Gaillard du Haut Château. Il a l’air d’en connaître beaucoup plus que la plupart d’entre nous réunis.

Considering today’s music business, Luke Haines should be considered by most indie lovers an international hero and one of the last very free men on board. His personal 2015 agenda was packed with strange and numerous projects nobody could reasonably embrace today such as a micro-dementia opera about The Fall’s Mark E Smith (not his best one though), a rock n’roll history autobiographical cookbook (a must have alongside his two books of souvenirs), a LP about New York in the 70s, Lou Reed and Alan Vega (well done) and finally what could be called an electro synth punk soundtrack about nuclear threat. We don’t even mention here his Raving album (an experimental limited edition of a unique collection of songs played 50 times with mostly acoustic guitar and singing) and his painting activities. Though we don’t know exactly how much the guy sells these days, it is amazing to have someone this age (sorry about that, he is only 48) so prolific and mostly well-inspired. With Cherry Red Records supporting his efforts when he doesnt use his own Outsider company, Luke Haines is probably close to the subcultural central indie position he has always dreamt about since he has shelved his dream to be an international pop star (again). The guy is so attached to underground British cultural history, he must definitely taste his respectable position as the absolute center of the margin.

British Nuclear Bunkers starts with an emergency warning message from the BBC advising people to hide in bunkers and protection tunnels. Nuclear apocalypse is here though the album itself doesn’t carry that much of anxiety. It is an electronic music album composed on analog synths which sounds like Suicide meeting Kraftwerk on a pop (play) ground. The title track is really impressive, reminding us of a Carpenter theme from New York 1997 movie. Snake Plissken would have liked to dance on that track : it is strange, haunting and as simple as it should. It is still amazing what you can suggest with 2 or 3 notes. This form of simplicity is more and more important in Luke Haines’ work as he has tried to tackle these days with what made the early punk records so good and so easy to do. We won’t detail every track here but each song is a little gem in itself. Camden borough Control has an evident melodic vivacity which relies on a poppy motive we follow on other songs like Test Card Forever. For French ears, it is not that far from the best Taxi Girl pop post-punk songs. We wait track 5, Cold Field Morning under bliss, to hear Luke Haines’ voice for the first time. The album is both melancholic, post-industrial and full of warmth. It is strange by design but we feel all this attention, tenderness and nostalgia (our fears have changed and nuclear apocalypse is definitely something which belongs to the past with this bunkers imagery etc) for an era when spending a few months underground to save its skin was not that strange. My own kids like to add their voice to the boy choir from Pussy Willow, a short kids’ song, set on track 7. Luke Haines is ace with kids’ choir. It should be notice. Then stands the amazing Mama Check The Radar at The Dada Station which is a pure house punk track from the 80s. That’s what we could call proto-electro-punk or just what is the closest here to a sonic terrorist attack. It gives an idea of how transgressive and audacious such a project is to commercially civilized (or castrated) ears.

We won’t say more this time. British Nuclear Bunkers is a masterpiece of a record. It is a small piece of electronic art, probably crafted with little money and just a few vintage instruments (the whole project comes from Luke Haines rediscovering analog synths), the way records used to be made and will probably continue to be made for some time. It is really important music lovers, musicians and whoever is interested in what it means to produce music listen to that kind of records. We’ve said a thousand times indie scene will have to redefine its means of subsistence to survive the music aftermath without losing its soul. Luke Haines is the man on the hill or the guy from the High Castle. He knows his way better than most of us.

Tracklist
01. This Is The BBC
02. British Nuclear Bunkers
03. Camden Borough Council
04. Test Card Forever
05. Cold Field Morning Under Bliss
06. Bunker Funker
07. Pussywillow (Kids Song)
08. Mama Check The Radar At The Dada Station
09. New Pagan Sun
10. Deep Level Shelters Under London
Ecouter Luke Haines - British Nuclear Bunkers

Liens
Le site de Luke Haines
Le site de Cherry Red Records
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