The Bevis Frond / We’re Your Friends, Man
[Fire Records]

8.8 Note de l'auteur
8.8

The Bevis Frond - We're Your Friends, ManLe Bevis Frond est notre ami. On le savait déjà mais ce nouvel album nous rappelle combien la musique de Nick Saloman, l’homme-orchestre qui dirige le groupe depuis la fin (ou le début) des années 70, à moins qu’il ne s’agisse des années 80, n’a pas son pareil pour mêler la pop, le rock psychédélique et des réminiscences à guitares de Hendrix et des Byrds. Que les plus modernes ne prennent pas leurs jambes à leur cou en lisant cela : ce n’est pas parce que le groupe et Saloman ont une certaine ancienneté que The Bevis Frond évolue dans une brèche temporelle. La musique du groupe est aussi moderne que le serait celle d’un Can, d’un Love ou de n’importe quel combo psychédélique qui aurait passé une partie de son existence dans une piscine de LSD ou une champignonnière ensemencée par l’armée à des fins expérimentales. Sauf que ce n’est pas tout à fait le cas de Nick Saloman et de sa bande, véritable groupe classique voué à jamais à produire des chefs d’œuvre (ou des trucs s’en approchant) sans aucune reconnaissance, ni jusqu’alors de soutien massif de qui que ce soit. Avec le temps, The Bevis Frond est en train de devenir le Big Star anglais, un groupe génial et un peu maudit à la fois.

Pas étonnant qu’après tant de galères avec les producteurs et les maisons de disques (qui ont longtemps boudé leurs disques), The Bevis Frond émarge finalement chez Fire Records, la maison de disques désormais spécialisée dans le renflouement des franchises géniales et tristement décotées. We’re Your Friends, Man suit une campagne massive de rééditions somptueuses qui arrivent à point nommé pour Noël et témoigne de la vigueur du groupe. L’album est en effet impressionnant de densité (20 titres) et de consistance (aucun déchet). Depuis l’ouverture somptueuse à la mélodie redoutable (Enjoy) jusqu’au final épique de 13 minutes (You’re On Your Own, un morceau insensé et déchirant), en passant par des titres à tomber de beauté comme We’re Your Friends Man, le puissant Pheromones ou le Velvetien Lead On, le Bevis Frond donne ici sa pleine mesure au point de déjouer la critique qui ne sait pas trop où donner de la tête. La musique de The Bevis Frond relève, d’une façon générale et avec le temps, de ce qu’on qualifierait de rock classique ou de rock mélodique. Elle est riche en guitares, plutôt puissante et ample mais ne tombe jamais dans la facilité. On ne sera pas surpris de savoir que J Mascis et Sonic Youth sont ou étaient des grands fans du groupe. On trouve sur cet album des solos de guitares qui sont incroyables, agiles et qui projettent véritablement l’auditeur dans une autre dimension. Mais ce qui fait mouche tout autant, ce sont l’évidence des compositions pop, la qualité des refrains et le chant tout en variation de Saloman. In The Leaves fait penser à un morceau de rock US des années 90. C’est un peu lourd et aérien à la fois, habile et inspiré du grunge. The Bevis Frond alterne cela avec des temps plus calmes, folk ou psyché-folk qui font monter les larmes aux yeux et sont des moments subtils et irremplaçables de poésie et d’intelligence. Little Orchestras est d’une délicatesse infinie. « Before i get too death-obsessed, let’s think of something innocent… Like trees in the summertime. », chante Saloman comme s’il donnait les clés de son univers.

La musique de The Bevis Frond défie la mort et défie l’ennui. C’est une musique de résistance au temps et à l’époque, un acte de courage qui se love dans des formes différentes pour parvenir à l’unique résultat qui vaille : créer, chanter, se retrouver sur scène et partager une ancienne façon de voir les choses. Impossible de trouver ici un titre faiblard (Growing peut-être pourrait faire office de maillon faible), tant chaque morceau regorge de qualités dans son genre. Les amateurs de Dinosaur Jr adoreront Gig Bag, ceux de Hendrix rêveront sur les arabesques grandioses de The Steeple Doesn’t Reach The Sky quand Mad Love, un bijou, rappellera aux amateurs de Julian Temple (qui a baptisé le groupe il y a une éternité) qu’avoir le cœur brisé par la vie peut être un délice pour les oreilles. Saloman multiplie les images fédératrices et humanistes héritées d’un imaginaire 70s qui place au centre du jeu le respect et les valeurs communautaires. Ses textes sont sublimes. Il y a quelques coups de génie véritables ici, à l’image de Birds Of Prey, l’une de nos chansons favorites où le créateur, assis à une table, se retrouve peu à peu cerné par des oiseaux de proie. « Now Birds of Prey gather round us. There is a place, and there is a time for floating minds but when it came we couldnt speak/ Now Birds of prey gather round us…every end must have a start and every hope must have a heart i wrote some lines, bought some strings… now birds of prey gather around me with opened wings  ». Il y a, dans les séquences les plus musclées (l’incroyable And Relax…) comme dans les plus sereines, une menace latente et une angoisse de mort qui viennent mettre en danger la fragilité du poète et déranger l’agencement des choses. C’est cette tension, cette précarité qui confère aux chansons de Saloman un sentiment d’urgence et la saveur des équilibres instables.

D’où qu’on le prenne, cet album est l’un des plus réussis de l’année.

Tracklist
01. Enjoy
02. We’re Your Friends Man
03. Pheromones
04. Lead On
05. In The Leaves
06. Little Orchestras
07. Growing
08. A Hard Way To Learn
09. Young Man’s Game
10. Venom Drain
11. Theft
12. Gig Bag
13. I Was A Bird
14. Old Wives Tales
15. When You Cast Me Out
16. Birds of Prey
17. And Relax…
18. The Steeple Doesn’t Reach The Sky
19. Mad Love
20. You’re On Your Own
Écouter The Bevis Frond - We’re Your Friends, Man

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