Whipping Boy / Heartworm
[Needle Mythology]

10 Note de l'auteur
10 Note de David
10

Whipping Boy - HeartwormAuteurs de 3 albums entre 1992 et 2000 (date de leur séparation), les Irlandais de Whipping Boy sont inconnus de tous ceux qui sont passés à l’époque (1995) à côté de leur chef-d’œuvre et l’un des meilleurs albums de post-rock des trente dernières années, Heartworm. Longtemps introuvable, c’est ce dernier que la bande Fearghal McKee réédite ces jours-ci dans une version double  CD qui démarre par l’album original et lui adjoint dix morceaux rares, live, versions alternatives ou inédites. La sobriété de la réédition (textes, long article critique) n’a d’égale que l’efficacité monolithique du disque qui, 25 ans après, fait toujours l’effet d’une révélation, comme si on se trouvait tout à coup confronté au petit frère de Joy Division, au voisin du The Bends de Radiohead et au cousin par alliance, infiniment plus doué, des jeunots d’Interpol. Whipping Boy aurait mérité (c’est tout le débat autour du groupe et de ce disque) d’exploser à la sortie d’Heartworm. Au lieu de ça, le disque a été englué dans des histoires de promotion ratée, doublé sur sa droite (il sort en novembre 1995) par la déferlante britpop qui déqualifiait alors le genre atemporel et pourtant si majestueux des grands groupes à guitares et voix baryton.

L’histoire originelle de l’album est donc avant tout une histoire de déveine, même si, en France, quelques uns ont repéré le miracle : Bernard Lenoir, notamment, qui invitera le groupe dans une Black Session impeccable (et qu’on peut trouver assez facilement). Le succès relatif d’Heartworm se noue autour de son titre n°5 : l’incroyable We Dont Need Nobody Else qui, d’où qu’on se place et au bout de 3000 écoutes, nous semble toujours aussi monumental et immense.

« In the morning, I am a recluse/ Lost in memories, ideal situations and convulsions/ I’m never in and I can’t remember/ They built portholes for Bono so he could gaze out across the bay and sing about mountains, maybe you are what you own in this land. » Les commentateurs avaient vaguement retenu que Whipping Boy défiait Bono sur son propre terrain des chansons à effet, des crescendos pleins d’émotion et de hargne, mais la bravoure du titre ne s’arrêtait pas là.

We Dont Nobody Else est une chanson infiniment romantique et une affirmation d’exclusion, une ode à la marginalité et à la vie réelle qui a la force d’un Hand In Glove et le lyrisme d’un U2 qu’il égale sur son pré carré. L’album est fait de chansons qui sont au moins aussi bonnes que celle-là. When We Were Young est l’une des plus belles chansons à guitares de l’époque (Paul Page tient le manche), ample, pleine d’espérance et d’énergie. McKee parle de bitures, de la jeunesse chassée par la police, de la bêtise et du courage qu’il faut pour mener une vie normale. Il parle du temps qui passe et s’adresse déjà aux adultes débordés que nous sommes devenus. Comme Morrissey, il cite Oscar Wilde mais évoque aussi la magie de Starsky et Hutch, proposant une vision terrestre et pop d’un rêve contrarié. Tripped qui suit est encore plus puissant et génial. La pièce qu’on retrouve sur le disque 2 en version live est l’une des plus sombres et élégantes du groupe. La basse (Myles McDonnell) est jouée avec une précision millimétrée et propulse la pièce à mi-chemin dans une explosion fatale qui met en évidence le désarroi du protagoniste. Tripped est à elle seule une leçon de punk rock : ramassée, exaltante, incandescente et incroyablement émouvante. C’est dans ce registre dense, sombre et empreint de beauté finissante qu’agit le charme de Whipping Boy. La voix de McKee est souvent au centre du procédé (le cabotin The Honeymoon Is Over) mais c’est la cohésion du groupe qui rend le cocktail si efficace. Blinded sonne comme les musiques de l’époque : on y trouve la rapidité dans le jeu du Wedding Present, l’énergie des premiers U2 et l’évidence mélodique de The Cure. A y regarder de plus près, il est tout à fait possible que la pesanteur (accentuée par la batterie jouée par Colm Hassett) et la noirceur globale de l’ensemble aient nui au rayonnement du disque.

Heartworm est un album ample et qui embrasse bien plus loin que sa propre époque, un album de jeunes hommes qui semblent avoir déjà beaucoup vécu et éprouvent une sorte de fatigue et d’amertume par rapport au monde qui vient. Personality est une belle chanson triste sur la fascination qu’exercent les people sur le commun des mortels. La musique de Whipping Boy ramène sans cesse à cette petitesse des existences communes, à ce sentiment de médiocrité qui s’empare de nous quand on se compare à ceux qui sont bien nés ou qui ont de la chance. La seconde partie du morceau est somptueuse et nous livre un couplet qui égale la beauté noire des vers de Lou Reed, période Velvet.

« The fantastic thing about the female is that she was put on this earth to be admired and adorned not abused. Or so the Senator said, one night in J J Smyths, where all the punks had played and the Jazz Men have their day/ While The Cat was sitting in the corner sniffing out his 20%, a-sniffing and a-licking, a-drinking and a-thinking about how his life was spent and then he’d fly, fly into a rage because his mind became delayed…. « 

Le style est précis, extrêmement littéraire et d’une modernité affolante. Chaque note et vers d’Heartworm sonne comme un trésor perdu, un miracle d’intensité et d’intelligence. On peut trouver Users un peu mélodramatique mais Fiction et Morning Rise qui referment cet album de seulement dix morceaux confirment le sans faute absolu. La réédition deluxe s’accompagne donc de dix titres qui confirment notre propos : le groupe à cette époque est rayonnant, fabuleux sur scène et possède quelques pépites cachées (Magnolia, As The Day Goes,…) qui auraient mérité un meilleur sort global. On soulignera la reprise magnifique du Caroline Says II qui établit de manière souterraine la filiation new-yorkaise. A défaut d’avoir été U2, Whipping Boy aurait pu au moins devenir le Velvet de sa génération, méconnu, méprisé mais redécouvert et loué plus tard. C’est ce qu’on espère sans trop y croire. Le groupe a signé en 2000 un dernier album avant de fermer boutique. Une brève reformation en 2005 a redonné un peu d’espoir aux fans qui accompagnement le culte dans l’ombre, jusqu’à aujourd’hui. McKee n’a plus rien fait depuis et tout le monde s’en est retourné à sa vie normale. Whipping Boy est un groupe qui existe mieux dans le secret des chambres, un groupe-religion qu’on vénère en secret parce qu’on ne sait pas vraiment s’il s’agit d’un mythe ou d’une réalité.

« When our time comes i will know, i will know », chante McKee sur Morning Rises.  Est-ce que le temps est venu ? Est-ce que la vie repasse deux fois les plats ? Rien n’est moins sûr. Cet album est magistral. Ceux qui sont passés à côté il y a 25 ans ont une sacrée chance de s’y remettre. On l’écoutera, pour notre part, jusque la fin du monde, la nôtre du moins.

Tracklist
Disque 1

01. Twinkle
02. When We Were Young
03. Tripped
04. The Honeymoon Is Over
05. We Dont Need Nobody Else
06. Blinded
07. Personality
08. Users
09. Fiction
10. Morning Rise

Disque 2

01. When We Were Young (Philo Version)
02. I Am God
03. Magnolia
04. Caroline Says II
05. Tripped (live)
06. We dont Need Nobody Else (acoustic version)
07. Disappointed
08. Twinkle (Acoustic Version)
09. As The Day Goes
10. A Natural

Écouter Whipping Boy - Heartworm

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