Le bassiste et artisan en chef du son des Future Islands s’offre en ce début juillet une escapade solo inattendue et carrément réussie. William Cashion œuvre dans l’ombre de son gargantuesque chanteur Sam Herring le reste du temps mais porte les virées du groupe de Baltimore avec sa basse festive et froide comme le punk, entre mélancolie et romantisme. C’est lui qui est derrière les grandes compositions du groupe et lui aussi, découvre-t-on désormais, qui nourrit un tropisme marin, omniprésent dans tous les albums du groupe.
Car sa première escapade en solitaire nous amène en bord de mer avant de prendre le large pour une chasse à la baleine remarquable et hypnotique (Whalehead). Là où la musique de Future Islands rebondit et ne tient pas en place, là où elle s’enflamme et propulse un chant sur ressort, William Cashion choisit d’œuvrer à rebours. Il prend le temps et livre une partition ambient de toute beauté, à la fois accessible, mélodique et inspirante.
On retrouve ici l’émerveillement de l’œil et de l’oreille face au spectacle marin, l’écoute du bruit des vagues, des sons, mais aussi l’éblouissement face au soleil qui vient caresser les flots. Triple Ocean est une pièce généreuse et qui invite au voyage. La musique reflue puis revient comme la marée, ouvrant dans sa disparition un silence vrombissant, apaisant et d’une poésie saisissante. L’ambient de William Cashion est électronique mais repose en grande partie aussi sur des instruments traditionnels ce qui lui confère une chaleur et une matérialité DIY réconfortante. Twin se cale sur un chant imaginaire venu des profondeurs pour inviter à la méditation. Postcard Music évolue aussi dans ce registre particulier et un peu casse-gueule des musiques qui relaxent et font sommeiller du coin de l’œil à la recherche de vérités sur soi-même.
Mais on n’est jamais ici dans l’arnaque new age. Il suffit d’écouter Piña Rosa qui est une petite merveille d’exotisme tropical. Les deux minutes sont subtiles et légères comme un pas de danse sur le sable. William Cashion compose tout en touché, avec une grande délicatesse et beaucoup de précision dans l’écriture. Still Pond Creek est un superbe morceau d’arrêt, comme si on voyait s’ouvrir devant nous l’une de ces bases refuges perdues dans la jungle après des mois d’exploration et de navigation. Le navigateur est fatigué et fait face au mystère. C’est ce que suggère aussi le somptueux Vizcaya, mot qui renvoie pêle-mêle aux conquistadors, à ce mélange mystérieux d’Espagne et de Mexique des Aztèques finissant. Postcard Music, comme son nom l’indique, ressemble à un agenda de voyage, allusif et imprécis, quelques notes bafouillées et rapidement mises en forme qui dessinent toutefois des paysages imaginaires avec une vivacité et une expressivité qui émeuvent.
William Cashion est-il à ses heures un musicien voyageur ? A-t-il lu beaucoup ou rapporte-t-il ces images de ces voyages mentaux ? Abelone est un joli casse-tête. Et voilà South Atlantic, morceau minimaliste à la lumière sonore typique des mers du Sud, de Melville et des explorations XIXème. Ceux qui rêvaient cet été d’Amérique du Sud et de navigation au long cours avant de se retrouver à la Grande Motte adoreront ce disque. South Atlantic sonne bien comme du Future Islands d’après ou d’avant l’emphase. Un Future Islands magistral et ample qui ne serait pas écrasé par le talent dévastateur de son chanteur et son appétit légendaire d’occuper le devant de la scène. William Cashion ne montre pas à travers cet album qu’il peut faire sans Herring, pas plus qu’il ne démontre quoi que soit quant à l’intelligence de son art. Il s’offre un temps de respiration sans doute et à nous un peu de beauté bien placée. Il y a toujours eu des notes avant la voix. Toujours eu la beauté avant l’homme. C’est la leçon de cette carte postale qui s’écrit toute seule.
La création a précédé l’homme. La beauté aussi. Elles ont précédé ce qui a suivi et c’est tant mieux ainsi.