Morrissey a 60 ans : on peut mourir tranquille

Morrissey par Caligvla (wikimedia.org)A quelques mesures près, comme ici lors d’un live assez ancien capté aux Etats-Unis (et avant que le groupe n’entame The Queen Is Dead), ou à moins que la chose nous ait échappée, Morrissey n’a jamais chanté sur scène la chanson de The Smiths intitulée Unhappy Birthday.

« I’ve come to wish you an unhappy birthday
I’ve come to wish you an unhappy birthday
‘Cause you’re evil
And you lie
And if you should die
I may feel slightly sad
But I won’t cry »

Ce n’est pas pour autant qu’on lui souhaite du mal ou de franchir le cap des 60 ans en larmoyant, en vivant seul ou en ayant à promouvoir un album de reprises de chansons empruntées au patrimoine américain.

Quelques semaines après Robert Smith (22 avril 1959), quelques mois après Madonna (16 août 1958), Prince (7 juin 1958), Michael Jackson (29 août 1958) (qui ne les ont pas vus vivants), avant Michael Stipe (4 janvier 1960) et une petite année avant Bono (10 mai 1960), Morrissey franchit le cap symbolique qui tend les bras aux héros musicaux apparus au milieu des années 80. Pas si mal pour quelqu’un qui a réchappé ou vit encore avec le cancer, pas si mal pour un homme qui ne mange plus de viande depuis 40 ans, pas si mal pour le pape de la mélancolie et de la dépression. Morrissey aura survécu à sa manière à son propre passé, ces cinq années bénies au sein de The Smiths, à l’aune desquelles l’ensemble de sa carrière aura été appréciée depuis la séparation de 1987. Morrissey aura vécu, composé et chanté 6 ou 7 fois plus longtemps en solo qu’il ne l’aura fait au sein du quatuor mancunien. Il aura vendu dix fois plus de disques et a déjà signé 12 disques en studio (si l’on compte California Son) contre seulement quatre avec Johnny Marr, Andy Rourke et Mike Joyce. Morrissey est devenu un Dieu au Mexique et une icône populaire en Amérique Latine. Il a perdu de sa superbe sur le continent européen mais reste une figure incontournable de la scène indépendante de langue anglaise. Ses déclarations, même sinistres, ont gardé la qualité d’être audibles et de relayer une pensée que les années n’ont pas affadie, à défaut d’enrichir.

Ça ne pouvait pas durer

Morrissey a 60 ans. C’est 35 de plus que son idole James Dean à sa mort, 18 ans de vie en plus qu’Elvis Presley, 24 ans de moins qu’Alain Delon qui posait en vitrine de The Queen Is Dead au faîte de sa beauté. Est-ce que l’âge importe encore ? Est-ce que les rockeurs vieillissent ? On y reviendra à l’occasion de la sortie de California Son mais cela fait un bail que la musique de Morrissey a soufflé ses 60 bougies. Il lui arrive encore d’avoir vingt ans ou trente. Il lui arrive de sonner comme en 1984. Il y a de très belles chansons sur chacun de ses albums. Mais elle a plus souvent les genoux qui craquent et le ventre qui passe par dessus la ceinture du pantalon. La musique de Morrissey a perdu ses cheveux et a des tâches de vieillesse sur les mains, celles de ses musiciens surtout. Sa voix elle-même est passée à autre chose. Somptueuse et solennelle quand elle ressemblait jadis au vol désordonné du papillon.

En 2004, sur You Are The Quarry, album qui mettait fin à une interruption involontaire de 8 ans, Morrissey avait signé une chanson mémorable, You Know I Couldn’t Last. Ce n’était pas loin d’être la chanson la plus cool du disque. On y retrouvait l’obsession d’alors pour les avocats et les procès…

« So don’t let the good days
Of the gold discs
Creep up and mug you
With evil legal eagles
You know I couldn’t last
Accountants rampant
You know I couldn’t last
Every -ist and every -ism
Thrown my way to stay »

… mais aussi l’idée d’avancer vers quelque chose d’autre :  l’heure de vérité des pop stars, celle qu’il retrouverait bien plus loin sur le single Jacky’s Only Happy When She’s Up on Stage, celle du « stop ou encore » qui est toujours un encore, celle du pas en avant qui est un pas en arrière, de l’album en plus qui est toujours l’album de trop.

Morrissey a 60 ans. Il est devenu Elvis Presley et Sinatra, la somme d’être morts que l’on maintient en-vie et dont le rêve ne s’est pas entier échappé. Il est devenu ce qu’il aura adoré adolescent, mais aussi ce qu’il aura détesté plus tard : une diva indépendante et décoiffante, inatteignable et insensée, folle et splendide. 60 ans est pour lui l’âge de la déraison, l’instant où on regarde le train dérailler et où  on trouve ça intéressant parce qu’on voyage en première.

« Then in the end
Your royalties bring you luxuries
Your royalties bring you luxuries
Oh but

The squalor of the mind
The squalor of the mind
The squalor of the mind
The squalor of the mind »

Tout est affaire de morale et de temps qui passe. On y pensera au moment de souffler les bougies. Il reste le temps qu’il reste. Morrissey est le prophète. Le prophète qui n’est jamais à la hauteur du message. C’est le principe.

Crédit photo : Caligvla at English Wikipedia

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