11500 km. C’est la distance qui sépare Singapour de Mosfellbær, la petite ville à quelques minutes de Reykjavik qui abrite le désormais célèbre Sundlaugin Studios ouvert par les stars locales Sigur Rós depuis le début des années 2000 et qui a vu passer quelques grands noms fidèles de ces pages ; et désormais Motifs. Une belle opportunité à l’initiative de leur mentor et producteur Leonard Soosay qui a tout mis en œuvre pour amener ces tous jeunes gens à venir y passer deux semaines en décembre dernier pour une véritable immersion de groupe, de vie collective et créative loin, très loin de leur base chaude et luxuriante. Deux semaines de neige, de nuit quasi polaire, de hot dog à $7, à s’immerger dans un univers complétement étranger pour composer et enregistrer la suite d’un acclamé premier album, Remember A Stranger, débarqué sans crier gare un beau jour de 2023. Belle opportunité aussi pour le label Too Good To Be True de concrétiser la confiance mutuelle construite avec le groupe en lui offrant la 10ème sortie de sa série de EP mensuels mais aussi en s’associant de nouveau avec deux références internationales, Shelflife aux USA et Fastcut au Japon pour produire du maxi une très belle version vinyle mettant en avant un artwork de toute beauté.
Si Motifs n’a pour le moment en tout cas pas vraiment l’intention de révolutionner le genre musical qui les anime, leur premier album les a projetés d’emblée dans la cour des grands représentants de cette noisy dream pop, outsiders juvéniles plutôt doués et vraiment pas inquiets à l’idée de brûler les étapes. Possible aussi que, vu d’ailleurs et d’aussi loin, la culture pop indé qui voit nos jeunes pousses locales y aller pas à pas ne soit pas aussi prédominante et que l’on préfère au DIY bricolé sur un laptop se jeter, et ses économies avec, dans le grand bain d’un studio du bout du monde jadis piscine. Motifs semble avoir une confiance absolue en sa capacité de marquer l’histoire, petite histoire à l’échelle de celle du rock, d’un sous-genre qui n’en finit plus de nous emballer. Pros, propres et carrés, à l’image quelque peu stéréotypée que l’on se fait de l’archipel-état dont ils sont originaires, les cinq titres de If This House Was Bigger en sont une nouvelle démonstration éclatante.
Façonné par cet hiver islandais le EP semble capturer ce moment étrange, cet entre-deux qui conduit vers l’âge adulte, ces regrets que l’on peut à peine nommer, ces rêves à la fois si lointains et si proches. Comme par exemple aller enregistrer chez Sigur Rós, influence évidente parmi d’autres de l’écriture du groupe mené par son engagée chanteuse et guitariste Elspeth Ong. Si le propre du genre est le plus souvent de créer des cocons confortables dans lequel l’auditeur retrouvera sans peine une chaleur sécurisante, souvent propice à la divagation, Motifs maitrise déjà son art sur le bout des doigts et n’hésite pas à se confronter à ses variantes. À commencer par celle du tube pop, Aug 16, qui ouvre le bal de la façon la plus efficace qui soit et Later On qui lui offre à une porte de sortie en tout point délicieuse. Deux titres concis, d’une belle évidence mélodique tout à fait lumineuse, le premier porté par un refrain XXL, quelques sobres et belles incursions synthétiques et une électricité qui gagne en intensité au fur et à mesure que le titre déroule quand le second prend la forme d’une petite pastille apaisante, à la fois conclusion idoine et évidente ouverture vers une suite qui reste à construire.
Alors qu’Heavy Is The Air quoiqu’impeccablement exécuté porte en lui d’ADN parfois un peu trop encombrant de la fameuse Alison de Slowdive, Himri, que l’on ne retrouve malheureusement pas sur la version mini-CD française, est une très belle incursion muette dans un domaine plus ambiant, largement influencée par les albums fondateurs des maitres des lieux, Ágætis Byrjun et ( ). Enfin (et oui, c’est bien d’un EP qu’il s’agit), si l’introduction de Maybe In Another Dream peut faire un court instant croire à une nouvelle direction inédite avec son motif de guitare acoustique gratté au coin du feu, la déflagration sonique qui surgit au bout de quelques instants renvoie elle vers les limbes du post-rock le plus bruyant et radical façon Mono, alternance d’accalmies rêveuses et de tempêtes boréales du plus bel effet car, même si on en connait les rouages par cœur, la façon dont Motifs exprime ces variations d’ambiance ne peut laisser indifférent.
If This House Was Bigger est un EP, tout ce qu’il y a à la fois de plus exaltant et de plus frustrant. Fruit d’un temps donné, expérience nordique que le groupe s’est offerte pour explorer de nouveaux territoires, volcaniques, hivernaux mais surtout musicaux, celui notamment de l’écriture sous contrainte : arriver les mains vides et repartir avec un disque 15 jours plus tard, exercer ses capacités à tester les idées, retenir les meilleures, s’auto-challenger pour reconduire en peu de temps l’excellence d’un précédent disque particulièrement réussi et tester de nouvelles pistes. Exaltant puisque réussi à son tour ; frustrant puisque trop court. Mais déjà largement suffisant pour en faire l’un des disques marquants de cette (fin d’) année.
