Nabihah Iqbal / Dreamer
[Ninja Tune]

7.4 Note de l'auteur
7.4

Nabihah Iqbal - DreamerNabihah Iqbal est de ces talents trop rares ayant tout ce qu’il faut, là où il faut. Animatrice de radio à Londres d’une émission musicale, hôte DJette en clubs, compositrice et chanteuse, elle a toutes les cartes en main de la parfaite musicophile en action.

Bonjour timidité

Son album Dreamer, succédant au galon d’essai lo-fi Throwing Shade mais surtout à son intéressant premier exercice, Weighing of the Heart (2017, tout de même) a néanmoins connu une gestation houleuse, retardée par un cambriolage de son studio ayant détruit des années de travaux compilés. Dreamer est donc le fruit d’un désespoir, mais aussi d’un renouveau.

C’est compliqué, d’écouter un ou deux titres prometteurs d’un album non encore entendu entièrement et de se rendre compte, déçu, qu’on sur-estimait le plaisir à venir. Le potentiel transparaissant reste néanmoins incroyable. Dreamer est donc un objet plus qu’étrange. Ses premiers titres, complètement évanescents, semblent installer une prédominance dream pop / shoegaze, mais s’étirent anormalement, jusqu’à n’en plus finir, vers la pure vapeur. N’arrivant pas à comprendre les mots chantés ni même la langue, il semble même, sans le faire exprès, qu’elle lorgne vers l’ambiant. Heureux accident, mais on présent une bizarre incapacité à s’assumer pleinement. On pourrait être en deltaplane avec Fers ou Slowdive, mais on s’y sent tout de même bien, emmitouflé. Ce qui est accidentel, c’est son inutile répétitivité que l’on devine de sa trop grande et simultanée proximité avec la house et les clubs. Et, peut-être, une problématique timidité que l’on sent poindre, la timidité de l’inexpérience involontairement retrouvée. Pourtant, This World Couldn’t See Us arrive, et c’est phénoménal : débutant comme Take on Me de A-ha, plus intelligible encore qu’un morceau de The Wake, son arpège de guitare marque au fer chauffée son album. Il réside une mélancolie dévorante, un vague-à-l’âme terrible qui nous vente dessus. On comprend alors : l’album pèche d’une désorganisation la plus complète, Iqbal ayant tellement de belles cordes à son arc qu’elle ne sait les choisir, préférant à défaut la captation kaléidoscopique la plus fidèle possible de ses goûts et capacités.

Brouillon de culture

Trop long à l’embrayage, ce Dreamer est un patchwork plus qu’un album, une compilation démontrant une multiplicité à la Kelly Lee Owens, mais cette incroyable qualité se transforme à mesure en un défaut notable. Lilac Twilight apparait comme « le » morceau acoustique de l’album, comme si sa chanteuse se sentait dans l’obligation dans ranger un. Viendra plus tard Sky River, un morceau électronique et purement instrumental à la Underworld. Syndrome de l’imposteur oblige, elle se sent obliger d’insérer des saveurs de son Pakistan natal se mariant laidement avec la musique noueuse et hantée de Lush, et cela en le cantonnant à une piste seulement. Le mélange semble audacieux, mais on ne peut plonger sans se mouiller les fesses. Sans en faire plus, elle entrouvre la porte d’une pudeur de gazelle alors qu’elle pourrait (conditionnel – on n’oblige personne, car on peut faire de multiples manière un bel album) l’enfoncer. On a cette décevante sensation d’être en face d’un prometteur terreau avec lequel elle ne fait rien, paralysée ou aveuglée par les incroyables potentialités d’albums, graines qu’elle contient dans sa main mais n’arrive à faire pousser.

L’intronisation de la house dans l’album parachève de transformer cette impression en certitude. Avec Gentle House, on retrouve l’ambiance des clubs anglais en lévitation, une ambiance close et fumée proche du premier album Devotion de Jessie Ware, à l’abri de la lumière extérieur, rassemblant en son sein ses noctambules à la recherche d’autres solitudes. Nabihah doit probablement avoir plusieurs discothèques en mémoire pour se permettre cette bigarrure, de par son métier d’animatrice radio. Son sens de l’application est flagrant, avéré ; mais elle ne sait ce qu’elle veut, l’ambiance d’arrière-album qu’elle souhaite fixer. Aucune couleur prédomine, si ce n’est une peut-être, celle de l’inconstance se traduisant par les vapes shoegaze, et non de la plus originale des manières. On parle dans ses chansons d’insouciance perdue, de la lourdeur d’être et d’évasion pastorale. Le sentiment l’amertume se fera sentir sur Sunflower, sensation que l’auditeur partagera pour d’autres raisons : celle de ne pas mieux avoir placer cet impressionnant morceau dans un coffret plus stable et harmonique. C’est à se demander si elle n’a pas maladroitement tenté, via cet album, de faire le deuil de ses maquettes à jamais perdues, et de réparer ce litige moral non pas en transfigurant ex nihilo ses années d’apprentissage technique en un nouveau jet créatif, mais comme une simple compilation attestant du talent passé de sa productrice, à la recherche de tapes (enregistrements, ébauches) définitivement perdues. La tentative de résilience est belle, mais elle ne se manifeste pas de la meilleure façon, l’album manquant de liant, d’un tri sélectif, d’une ligne directrice.

Dreamer est en soi plus une démo de compétences qu’un album. La base de travail est impressionnante. Et pourtant, il suffit d’écouter un morceau comme This World Couldn’t See Us pour se dire que, bien qu’assis sur une structure perfectible, l’album contient les prémisses de probables grandioses albums. Il ne reste plus qu’à acquérir une vision. On est confiant : elle tient le bon bout.


Tracklist
01. In Light
02. Dreamer
03. This World Couldn’t See Us
04. Sunflower
05. Lilac Twilight
06. Gentle Heart
07. Sky River
08. Sweet Emotion (lost in devotion)
09. A Tender Victory
10. Closer Lover
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