Petit retour en arrière : nombreux étaient ceux qui n’attendaient pas grand-chose début 2014 à l’annonce d’une reformation qui allait déboucher après 3 ans de concerts aussi nostalgiques que régénérants sur le quatrième et nouvel album de Slowdive. 22 ans après l’exigeant Pygmalion, climax d’une courte et passionnante (première partie de) carrière, on se demandait bien ce que le groupe avait de nouveau à nous apporter. Groupe de seconde zone d’un mouvement pas loin d’être anodin pour les uns, pièce majeure et hautement influente d’un genre qui n’en finit plus de résister au temps pour les autres, le quintet de Reading justifiait pourtant avec un Slowdive de haute volée une présence dans le paysage musical des années 2000 loin d’être anecdotique. Comme une destinée à jamais liée entre voisins, ils prouvaient en même temps que Ride et son Weather Diaries lui aussi plutôt réussi qu’à presque 50 ans dont une vingtaine passé un peu moins sous les feux de la rampe, ils avaient encore bien des choses à exprimer, en tout cas plus qu’un simple service après-vente pour rééditions nostalgiques. Si, par la suite, la bande d’Oxford n’aura mis que 2 années à concrétiser avec This Is Not A Safe Place une suite encore plus convaincante, Slowdive aura donc pris un peu plus de temps pour ancrer de façon plus concrète ce retour avec le deuxième album de sa nouvelle vie qui sort sur le label Dead Oceans.
Everything Is Alive clament-ils donc. Plus ou moins, surtout si l’on s’attache aux deuils qui ont récemment marqué les membres du groupe comme en témoignent les dédicaces en note de pochette, mais bon, on veut bien les suivre. Car la musique de Slowdive est elle bel et bien vivante, lumineuse même, d’une clarté éblouissante. Si Slowdive, l’album du retour portait en lui les gènes d’une noisy certes extrêmement mélodieuse, elle s’avérait aussi sourde, sombre et assez radicale, contrastant en tout point avec le souvenir laissé par l’angélique Pygmalion. Aujourd’hui, il n’est pourtant si peu question ni de l’un, ni de l’autre, mais d’un Slowdive capable de sortir quelque peu de sa zone de confort pour offrir à ses auditeurs une vision plus tout à fait noisy de sa pop, pour le coup toujours aussi rêveuse mais aussi et surtout suave et capitonnée comme jamais. Si Slowdive est bel et bien vivant, c’est aussi que la bande menée par un Neil Halstead toujours omniprésent laisse à ses nombreux et parfois bien talentueux copieurs/copistes le soin de faire du Slowdive pour s’ouvrir quelques peu à de nouveaux horizons.
On avait senti le coup venir. Kisses, épatant premier single élancé et formidablement mené avait sous la cavalcade mélodique des airs de balades FM west coast pas si faux que ça et la mélancolie qui s’en dégageait, accentuée alors par son illustration vidéo, n’avait en tout cas plus grand-chose à voir avec les longues journées interminables passées sous le crachin du Berkshire. Accident ? Il suffit de se pencher sur Alife pour comprendre que le groupe a décidé ici de se lancer toutes fenêtres ouvertes dans un grand ménage de fin d’été complément rafraichissant. Slowdive assume : la rythmique carrée, les synthétiseurs qui divaguent et la grosse décapotable aux chromes rutilants. Les textures de guitares sont magnifiques et les voix doublées se répondent comme sur un bon vieux Fleetwood Mac qui aurait eu la décence d’en rester là à la fin des années 1970. Cette fascination de Neil Halstead et Rachel Goswell pour les grands espaces pastoraux n’a évidemment rien de nouveau : il suffit de se souvenir de la d’abord déroutante puis finalement très belle aventure Mojave 3, sans oublier les très folks travaux solos du monsieur pour comprendre à la fois l’origine et la direction du disque.
Everything Is Alive s’attache donc à décloisonner les envies d’écriture de Neil Halstead tout en conservant l’ADN d’un groupe certes imitable, mais rarement dépassable. Si les claviers prennent de l’ampleur, c’est surtout la patte du gaucher Christian Savill qui étonne : alors que Monster Movie ou Beachy Head ont toujours eu des airs de passionnants passe-temps, jamais leur influence sur le son de Slowdive n’avait semblé aussi présente. Que ce soit sur les très bons Shanty en introduction, Chained To A Cloud ou Skin In The Game, jamais le groupe ne s’était autant approché d’une pop aussi lumineuse, chansons rêveuses et parfois même enlevées sous leurs airs un peu bougons. The Slab, en guise de conclusion épicée, dévoile un décor grandiose rarement fréquenté rappelant un autre des projets passés de Rachel Goswell, le supergroupe Minor Victories dans lequel Slowdive se laisse aller à une inédite grandiloquence finement dosée pour ne pas devenir putassière. Au bout du compte, seul le magnifique instrumental Prayer Remembered renvoie au Slowdive original de Just For A Day ou Souvlaki ; sans doute trop peu pour des puristes que ce virage lumineux risque bien de dérouter.
Il y aura alors deux façons de sortir d’Everything Is Alive et du labyrinthe qui orne sa pochette. Les nostalgiques du shoegaze regretteront probablement que la bande d’ados timides ait définitivement coupé les franges et redressé corps et visages pour faire face, du haut de leur cinquantaine, à un avenir musical encore capable de révéler bien des surprises ; ce que justement les inconditionnels du groupe sauront apprécier à sa juste mesure. Everything Is Alive peut étonner, dérouter ou même décevoir mais il est avant tout le disque d’un groupe qui a décidé de refuser la sclérose et qui continue à avancer et à challenger sur le terrain d’une certaine dreampop de plus jeunes congénères qu’ils ont pour certains infiniment inspirés. N’en déplaise aux grincheux, c’est assurément à cela que l’on reconnait les grands groupes importants.
02. Prayer Remembered
03. Alife
04. Andalucia Plays
05. Kisses
06. Skin In The Game
07. Chained To A Cloud
08. The Slab
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