Rejeton malaimé et tardif de la britpop, My Life Story a signé dans les années 90 quelques titres fameux, livrant en 1995 avec Mornington Crescent son album le plus réussi et marquant. You Dont Sparkle (In My Eyes), Girl A, Girl B, Boy C et 12 Reasons why i love her évoqueront peut-être quelques souvenirs de jeunesse aux plus anciens, le groupe de Jake Shillingford ayant évolué dans un registre plus original que d’autres où se mêle pop traditionnelle et musique de chambre. My Life Story a toujours déplu à ceux qui trouvaient que Shillingford en faisait beaucoup trop : trop de cordes, trop de moments de bravoure et d’effets de manche pour une musique qu’on qualifiera gentiment de baroque pour ne pas dire pompière. Dans ses meilleurs moments, le groupe déployait pourtant un romantisme ample et touchant qui en faisait le chaînon manquant et flamboyant entre Blur et Divine Comedy.
On ne s’attendait pas nécessairement à tomber sur un chef d’œuvre en écoutant le premier album du groupe depuis vingt ans et Joined Up Talking (2000). Aussi le résultat, World Citizen (Exilophone Records), annoncé par un single, Taking on The World, qui nous avait plu modérément, est-il au final une excellente surprise. L’album a été écrit par Shillingford et le guitariste du groupe Nick Evans. Passée, dans un premier temps, par la plateforme participative Pledgemusic, laquelle a rendu l’âme entre temps, la production, différée, a finalement vu le jour grâce à des pré-commandes qui ont rassuré le groupe sur la fidélité de ses fans. Ceux-ci sont récompensés d’emblée par une série de chansons pop proches de la perfection, uptempo, sentimentales et globalement emballantes comme le classique No Filter qui ouvre le bal. Le ton est un brin nostalgique mais l’outrance contenue et l’émotion omniprésente. Ces retrouvailles sont belles, précises et parfaitement contrôlées. Ce qu’est tout autant le beau Broken qui suit en plage 3. L’attaque acoustique est impeccable et la voix de Shillingford en grande forme. « I wear my heart upon my sleeve… But when did you ever believe in me ? ». La question de confiance est posée. Tout est ici affaire de grands sentiments, de permanence et de lien de fidélité. Il y a une forme de vulgarité populaire dans « I’m looking on the bright side. I’m only broken in the inside. », un côté cheap et facile qui renvoie aux meilleurs ressorts pop. Le groupe a enregistré l’album avec un orchestre entier de plus de 40 pièces à Budapest et… via skype. Ce son naturel est un atout majeur pour le disque qui bénéficie d’une production ample et à la hauteur des ambitions toujours démesurées de Shillingford.
Le leader du groupe n’a rien perdu de son sens mélodique et de sa capacité à nouer des motifs pénétrants. Sent From Heaven est une chanson formidable au refrain magique. « Sent from heaven. I couldnt believe when she came in my life. » C’est d’une efficacité, d’une simplicité et d’une beauté qui sautent aux yeux. Les livraisons de Shillingford sont plutôt en retenue par rapport à ce qu’il faisait jadis, comme si l’homme, avec le temps et les échecs, avait appris à domestiquer ses effets. La plupart des morceaux sont des réussites à l’image du subtil The Rose The Sun, chanson en apesanteur et peut-être la plus élégante et poétique d’entre toutes. Le tempo est ralenti et l’ensemble déposé dans une forme de pop atmosphérique ou spatiale réellement impressionnante. Le texte est un bonheur qu’il faut oser chanter : « my live is like the rose, the more you cut it, the more it grows, my love is like the sun, you turn your head but it still shines on. » Il n’y a rien de fondamentalement audacieux ou de transcendant là-dedans mais une sincérité totale et une justesse dans l’émotion et une foi absolue dans le pouvoir de la pop qui font souvent frissonner. Shillingford a toujours été pleinement engagé dans cette pop sans double fond, à la fois naïve et complètement démodée, mais aussi immédiatement séduisante et fédératrice.
World Citizen n’échappe pas à un effet de lassitude sur la fin à l’image du morceau-titre, faussement agréable et qui agace à force de chercher désespérément à nous emballer à coups de faux chœurs et d’appels à claquer dans les mains. My Life Story a toujours fini par se faire détester en voulant se faire aimer. C’est ce qui a causé leur perte et la lassitude du public. World Citizen profite du charme de la redécouverte pour s’imposer comme quelque chose de paradoxalement nouveau et… qui ne se pratique plus guère de nos jours.
Telescope Moonlight Boy en ferait presque penser à du Felt. C’est beau, grandiose même, brillant à bien des égards. Shillingford joue la proximité jusqu’au bout en faisant le crooner désolé et pastoral sur A Country With No Coastline, avant de délivrer une stupéfiante et hypnotique performance sur le magnifique final, Overwinter. Loin de sa caricature, le groupe enchante une dernière fois avec un titre sombre et sobre qui évoque la fin d’une relation d’une façon bouleversante. «The winter fell so hard on our home. Howling, misreading all the words that were thrown. Drowning. I felt the icy wind swell over me…. » Ce morceau suffit à lui tout seul à justifier l’écoute de ce disque du retour. Shillingford, dans ses bons moments, peut donner la leçon à Sufjan Stevens et Andy Shauf, ce qui est le cas ici.
World Citizen est un album glorieux et l’une des plus belles sorties du néant qu’on ait vue depuis quelques années. On ne sait pas s’il donnera lieu à autre chose mais retrouver My Life Story après tout ce temps interroge sur ce qui est moderne et ce qui ne l’est pas, sur la valeur des musiques conservatrices par rapport aux prétendues nouveautés qui nous agitent d’ordinaire. On peut sûrement être d’hier et d’aujourd’hui avec la même innocence et la même intensité, et y trouver son compte. World Citizen prouve qu’on peut voyager dans le temps pour le plaisir.
02. Taking of The World
03. Broken
04. Sent From Heaven
05. The Rose The Sun
06. The One
07. The World Citizen
08. Telescope Moonlight Boy
09. A Country With No Coastline
10. Overwinter