TRAITRS / Horses In The Abattoir
[Freakwave]

10 Note de l'auteur
10

TRAITRS - Horses In The AbattoirL’heure n’est plus aux révolutions populaires, aux mouvements de masse, aux élans collectifs, aux partages confraternels. Chacun reste dans son couloir, condamné à avancer droit devant, en solo avec les moyens dont il dispose et sans autre perspective qu’une pâlotte lumière lointaine. Dans ces conditions, n’allons pas demander aux artistes contemporains d’inventer, d’innover, de faire bouger les lignes. Si leurs œuvres nous apportent l’énergie de rester debout et de tenter d’aller de l’avant dans ce parcours individualiste, c’est que leurs œuvres méritent d’exister et d’être partagées.

On n’ira pas avancer d’autres arguments pour défendre le troisième album de TRAITRS qui nous bouleverse au tréfonds de notre moi. Ceux qui ne verront ici qu’une relecture de quatre ou cinq décennies de rock gothique n’auront pas vraiment tort. Mais ils passeront à côté de l’essentiel car il faut pouvoir entrer dans Horses In The Abattoir (Freakwave) sans œillères pour l’apprécier avec la sensibilité nécessaire et en mesurer la charge émotionnelle.

Avec leur formule rachitique et leur ton cathartique, on sait bien que le duo canadien va peiner à convaincre les foules, quand bien même il aura claqué dans la même année un EP The Sick, Tired and Ill comprenant une Magdalene de Proust et 5 autres chansons bouleversantes au creux de l’été, avant de revenir avec un quatrième album en guise d’oraison funéraire à une 2021 au goût de fin du monde.

Si la formule ne déroge pas aux canons édictés par Saint-Robert Smith avec The Cure, il faut toutefois reconnaitre qu’ils sont ici exacerbés du fait du dépouillement extrême de l’instrumentation. La boite à rythme fonctionnant en mode alternatif on/off est forcément implacable et binaire. Une guitare réverbérée ad-libitum s’entête à s’extirper des nappes de synthétiques qui s’étirent jusqu’à se confondre avec la ligne d’horizon, quand une ligne de basse ne la tire pas vers les abymes. Mais c’est bien le chant désespérément écorché qui confère à ces mélodies torturées une puissance évocatrice rare. Les titres s’enchainent sans répit et l’intermède de sound-movie placé au milieu de l’album n’a d’autre vertu que de permettre à l’auditeur de reprendre son souffle après une triplette de brûlots à fleur de peau. Mouth Poisons, Magdalene et Oh, Ballerina auront déjà fait affluer des souvenirs longtemps refoulés qui nous plongent dans un état émotionnel qui ne s’accorde qu’avec la solitude. TRAITRS ne desserre son étreinte que pour pouvoir nous asséner une avalanche de coups à bonne distance avec l’enchainement de l’effréné From This Old Mirror et de la grandiloquence romantique de Ghost And The Storm. Les chairs meurtries, la gorge nouée et les poings serrés, plus d’un aura déjà refusé de se soumettre à cette mise à nu qui ne permet pas de se dissimuler derrière les apparences ou une quelconque posture. Il ne reste plus ici qu’à offrir nos fêlures et notre sensibilité avec la sincérité de ceux qui savent qu’aucune carapace ne pourra les protéger. On comprend mieux le titre programmatique de Horses In The Abattoir, tant l’album nous conduit dans cet état rare, et ô combien salvateur dans ce monde du paraitre, où on peut laisser déferler nos doutes, exposer notre propre faiblesse en pleurant comme un enfant.

Tracklist
1. Sea Howl
2. Mouth Poisons
3. Prostitution
4. Magdalene
5. Oh, Ballerina
6. Tv Hours
7. All Living Hearts Betrayed
8. From This Old Mirror
9. Ghost And The Storm
10. Last Winter
11. The Way Through A Bird’s Love
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