Après Steve Barron, deuxième volet de nos années clip 80’s avec Russel Mulcahy. Très demandé, excessivement côté en bourse mais trop tributaire des tendances modes de l’époque, le clippeur préféré de Duran Duran n’a guère fait illusion longtemps. La faute à une gratuité stylistique et à un orgueil injustifié.
Russel Mulcahy représentait à lui seul l’argument principal des partisans et détracteurs de la mouvance clip : visionnaire pour la jeune presse française branchée (Starfix), incohérent pour la sphère cinéphile deleuzienne (Les Cahiers du Cinéma). Il est évident que les opposants détenaient la vérité, et que ce style glamour, très frime et ciel multicolore, n’allait pas survivre au-delà d’une courte période (1985, en gros). Pourtant, malgré cette vacuité, comment expliquer l’engouement Mulcahy ?
Nous pouvons reprocher au futur cinéaste de Razorback son art du montage abracadabrant, mais tout de même pas un certain feeling dans l’art de saisir les choses au vol. Mulcahy fut ainsi le premier clippeur à extraire la vidéo du modèle scopitone 60’s (Henri Salvador, les Chats Sauvages) ou de la simple captation sur plateaux TV (en remontant aussi loin que possible, Bohemian Rhapsody de Queen serait ainsi le « premier » clip officiel – bien que sans inventivité notable). Inversement à ses prédécesseurs banalement techniques, Mulcahy, lorsqu’il imagina Video Killed the Radio Star pour les Buggles (en 79), possédait des velléités de metteur en scène. Qui passaient moins par un univers précis que par un jeu constant avec les différents types d’images, l’abnégation du montage bazinien, l’informalité d’une quelconque logique. Mulcahy, c’est le moins que l’on puisse dire, n’était pas théoricien mais sensitif naïf. La petite mode Mulcahy ne tenait qu’à cela : il apportait un style neuf à un médium (le clip) auparavant dépourvu du moindre… style. Un territoire vierge que cet Australien, au bon endroit au bon moment, voulut révolutionner (dans le vide).
Le problème Mulcahy tenait certes beaucoup à sa gestion capharnaüm du montage (chez lui, l’espace et le temps ne possédaient aucun repère identificatoire). Mais également à sa propension à puiser dans l’imagerie des autres. Inversement au travail de Steve Barron (et à ses visons échappées de l’enfance), le style Mulcahy ne se façonnait qu’en fonction des derniers succès américains. Particulièrement limpide dans le cas Duran Duran puisque Hungry Like the Wolf, Union of the Snake ou Rio s’inspirent ouvertement des visuels Mad Max 2, Indiana Jones et James Bond. D’où cette ironie : en 84, l’intelligentsia parisienne reprochait à Mulcahy de mettre son « génie » au service d’une formation aussi anachronique que Duran Duran ; et aujourd’hui, logique temporelle, Duran Duran est considéré comme l’un des meilleurs groupes de sa génération mais dont le seul bémol fut de parader dans des vidéos pompeuses et frimeuses.
Là où la nostalgie permet de revoir certains clips de Steve Barron avec tendresse (car chacun racontait une petite histoire souvent romantique), difficile de s’enquiller en 2018 les travaux de Mulcahy. De ses visuels pour Ultravox jusqu’à Elton John, en passant par Icehouse ou Spandau Ballet, tout est démodé ! Car inversement à Barron ou Mondino, Mulcahy ne se mettait jamais au service du groupe ou du musicien, il soumettait les artistes à son propre univers (qui dépendait, en outre, d’autres univers – mise en abyme fatalement limitée). Voilà également pourquoi Cargo de nuit (Mondino) ou Take On Me (Barron) arrivent encore à nous décrocher un sourire enfantin : il y a ici une pureté que Mulcahy ne pouvait décemment concevoir (la frime du démiurge, tel était son rôle).
Mea culpa : je me surprends toujours à aimer ce qui reste à mon sens le plus beau film de Russel Mulcahy, le seul qui transporte l’illogisme du cinéaste jusqu’au buñuelien (toute proportion gardée, bien sûr). Arena , qui fut diffusé sur FR3 en 84 dans une version short nommée As The Lights Go Down , est un concert filmé de Duran Duran qui ne ressemble à aucun autre concert filmé. Le groupe mené par Simon Le Bon y est au sommet de sa popularité (les filles hurlent et s’évanouissent), sauf que Mulcahy replace les captations live dans une fiction absurde (« an absurd notion », insistait la jaquette de la vidéo au moment de sa commercialisation en 87). Entre deux chansons, les Duran Duran se font kidnappés par un scientifique fou qui les entraine dans un univers parallèle à base de machines et d’engins médiévaux (d’où le clip, assez célèbre, Wild Boys ). Au même moment, dans la salle, les spectatrices se retrouvent confrontées à une panthère surgissant de l’inconnu (ou de l’imagination de Mulcahy).
Arena reste un bon film. Car Mulcahy détournait un concert, le triturait, lui adjoignait une part fictionnelle totalement incongrue. À l’époque, la critique nommait cela un « long form ». Sans doute la seule fois où Russel Mulcahy se trouva lui-même. On préfère néanmoins la virginité de Planet Earth .
Crédit photo : capture du clip Hungry Like The Wolf (Duran Duran)