Que fait un grand cinéaste de longs-métrages lorsqu’il tourne un clip ? Il reste fidèle à lui-même ou bien s’absente, il condense son œuvre cinématographique en trois ou quatre minutes ou préfère se mettre au diapason du musicien, il s’amuse ou fusionne son univers avec celui de la chanson… Et des clips tournés par des pointures, on en trouve : Friedkin, Raimi, Jarmusch, De Palma, Demme, Landis…
Pour resserrer le sujet, cette playlist (subjective) ne prend pas en compte les cinéastes ayant mis en scène des films après avoir débuté dans le clip (pas de Gondry, Jonze ou Mulcahy, donc).
Laura Branigan par William Friedkin – Self Control (1984)
Entre Deal Of The Century et Police Fédérale L.A., l’illustre Friedkin réalise son premier (et unique) vidéo-clip. La jolie Laura Branigan y évolue dans un univers fantasmatique très très explicite. De son côté, l’auteur de L’Exorciste y développe l’un de ses thèmes de prédilection : la frontière poreuse séparant les obsessions macabres de leurs réelles concrétisations. Pour les friedkiniens, on trouve déjà dans ce clip les « masques » qui illustreront les numéros musicaux de Police Fédérale. Le clip rappelle également le superbe Nightcrawlers, segment de 20 minutes que Friedkin, au même moment, tournait pour la série The New Twilight Zone.
Bruce Springsteen par Brian de Palma – Dancing In The Dark (1984)
Dans une suite logique à Scarface, De Palma iconifie la réussite sociale du Boss. Sauf que tout est faux : le concert est mis en scène, la groupie est une actrice (Courteney Cox), Bruce joue le rôle de Springsteen… En même temps, personne n’avait pensé à cette idée simple : plutôt que de ramer avec dix caméras pour convenablement filmer une scène de concert, pourquoi ne pas, tout simplement, refaire la scène de concert comme s’il s’agissait d’un film ? Typiquement Brian.
Talking Heads par Jim Jarmusch – The Lady Don’t Mind (1985)
Pour visualiser l’une des chansons emblématiques de son vieil ami CBGB David Byrne, Jarmusch, dans une logique Stranger Than Paradise, reste intègre envers lui-même : plans fixes, simplicité du découpage, noir et blanc (avec quelques couleurs). Une belle épure totalement à contre-courant de la mouvance clip d’alors (vitesse, profusion, gratuité). Gentleman Jim tournera ensuite d’autres vidéos : pour Tom Waits et RZA, puis manquera de peu Bob Dylan…
Mylène Farmer par Abel Ferrara – California (1995)
Une rencontre pas si improbable puisque Ferrara et Farmer ont toujours navigué dans un même univers schizo : violence et romantisme, pudeur et sexualité, angélisme et bestialité. Avec l’aide de Giancarlo Esposito (déjà dans The King Of NY), Abel procure à Mylène le condensé total, voire le résumé, de toute sa discographie. Boutonnat peut se rhabiller.
Public Enemy par Spike Lee – Fight The Power (1990)
Où l’alliance logique entre deux entités américaines parmi les plus insurrectionnelles et virulentes de l’époque : le cinéaste FTW Spike Lee (en plein Do The Right Thing) et les rappeurs anti-establishment Public Enemy. Logiquement, la vidéo cherche à « foutre le feu ».
Billy Idol par Tobe Hooper – Dancing With Myself (1981)
Alors au top de sa carrière, le cinéaste de Massacre à la Tronçonneuse plonge Billy Idol dans un univers apocalyptique gangréné par des zombies dansants. Le clip correspond involontairement avec le Thriller de Landis, mais il faut plutôt y voir une frustration hooperienne : celle de n’avoir jamais mis en scène son propre film de morts-vivants…
Joe Strummer par Alex Cox – Love Kills (1986)
Une suite drolatique au film Sid & Nancy : Joe Strummer, excellent en général mexicain, doit gérer la venue surprise de Sid Vicious dans son pays. Gary Oldman y reprend son rôle de Sid, et Joe nous gratifie d’un plan anthologique en compagnie d’une… mouche ! Par l’auteur cultissime de Repo Man, Straight To Hell et Highway Patrolman (ce qui n’est pas rien).
Red Hot Chili Peppers par Gus Van Sant – Under The Bridge (1991)
Alliage parfait entre deux visages GVS : les nuages accélérés (influence Coppola) et le réalisme slacker. Avec cet onirisme western qui nous avait éblouis dans My Own Private Idaho. Un mystère qui manque aux derniers Van Sant…
Iggy Pop par Sam Raimi – Cold Metal (1988)
Rencontre décevante entre l’ex Stooges et le cinéaste d’Evil Dead. D’abord car il s’agit d’un titre mineur d’Iggy, ensuite car l’ami Raimi canalise son attendue furie visuelle. Une vidéo trop sage (alors que, what !? On parle ici du cinéaste de Darkman et de Crimewave !). Raimi, un mec intègre, était peut-être top intimidé par Iggy et flatté par sa proposition. Oui mais : et Sharon Stone, alors !?
New Order par Jonathan Demme – The Perfect Kiss (1985)
Nous avons déjà écrit dessus, donc inutile d’y revenir sinon pour insister sur ce point : il s’agit du plus beau vidéo-clip de tous les temps !
Michael Jackson par John Landis – Thriller (1982)
Ne pas citer ce clip serait injurieux. Époque où Landis, avec les Blues Brothers et Un Fauteuil pour deux, paradait très haut dans le Top 10 hollywoodien. Et où Jackson possédait le monde à ses pieds. Hommage également à ce jour où nous découvrîmes, très jeunes, le clip en première mondiale à la télé (une autre vie, assurément) !
Landis retrouvera Jackson pour Black Or White (moins troublant). Auparavant, Mister Billie Jean s’offrit les services de Scorsese (Bad, décevant de la part de Martin) et, comme un gag, une fausse apparition de Spielberg en metteur en scène de Liberian Girl.
Crédit photo : capture d’écran du clip Self Contol de Laura Branigan.