Tiga / Sexor
[Last Gang Records]

9 Note de l'auteur
9

Tiga - SexorSexor, ce sont les confessions d’un branleur magnifique. Sexor, c’est d’abord l’histoire d’un homme qui se trompa d’époque. Mieux encore, c’est le récit d’un homme qui devint DJ alors même qu’il n’avait pas les prédispositions pour ; et qui devint DJ… pour devenir, le temps de deux albums, une des plus grandes pop star 80’s de la génération 2000, alors qu’il n’en avait, là encore, aucunement les qualités. Le phénomène Tiga est un des plus électrisants à commenter. Tout y est un éternel rendez-vous manqué avec Tiga, et le plus drôle est qu’il le sait. Et il le fit avec un aplomb frisant l’insolence. Tiga est né avec vingt ans de retard, et il aura tout fait pour réparer cet accident.

Sexorama

Si Tiga était à ranger quelque part dans une catégorie esthétique de chanteurs, ce serait résolument celle des « garçons coiffeurs ». Pourtant, Tiga Sontag n’est pas né à la même époque fardée que Boy George. Le jeune Sontag s’est fait connaître par son sens de la fête, au milieu des années 1990 : le garçonnet organise à 17 ans une rave sauvage avec… 19000 invités. Organisateur de soirées ensauvagées et fils de la communauté hippie montréalaise, le jeunot souhaite plus : alors que les années de diamant new wave s’éloignent, celui-ci décide, une fois s’être fait un nom dans le milieu des soirées techno, et après avoir rencontré ceux qui composeront son succès – le duo Soulwax et Jesper Dahlbäck en tête, respectivement co-producteurs et mixeur de ce premier album – de réaliser une fumisterie dont l’arme serait un album. Ces derniers confectionneront un rêve à  la hauteur du Tiga : devenir une star de boy’s band type Duran Duran, mais dont chaque membre ne serait autre que … lui.

L’album débute pourtant mezzo mezzo avec (Far From) Home, petite chanson pop naïve cachant bien son jeu. C’est un morceau mineur, mais on remarque dès lors un véritable soin apporté aux paroles, délicieusement frimeuses. Tiga sort tout droit de Glamourama, ou de tout autre roman de Bret Easton Ellis, avec sa galerie de personnages pavaneurs et artificiels. D’ailleurs, l’ingénu clip l’illustrant a tellement vieilli à la pellicule qu’il ressemble involontairement à celui des stars que Tiga pastiche. Nous sommes face à un producteur (et ses imprésarios, là pour assurer ses arrières) dédiant un album entier, pop et chanté, à personne d’autre que lui-même. You Gonna Want Me fait plus que confirmer la tentative. Tiga prend son rôle de chanteur métrosexuel avec le plus grand sérieux du monde, et joue la carte de l’excès à un point tel que l’on arrive à croire en la blague. Jamais une telle richesse dans les paroles n’a été remarquée au sein de l’électro. Tantôt taquines, tantôt perverses, à la fois malines, indolentes et même tendres, comme dans Brothers. Tout l’univers du garçon tourne autour du désir, de l’argent et du matérialisme le plus décomplexé du monde. Une ostentation que l’on ne voyait, à l’époque, que dans le gangsta rap, mais avec une approche m’as-tu-vu bas du front.  Ici, les paroles sont racées, au cordeau, jouant le jeu de l’ambigüité sexuelle. Là, la finesse est telle qu’on hésite toujours à croire entre le second degré ou le sérieux du boy, arrivant presque à faire avaler son tour de passe-passe aux plus clairvoyants.

Et le pire est qu’il jubile de sa farce, du tour de magie qu’il vous fait. Son CD avait connu un véritable succès, tout autant apprécié des mastodontes médiatiques populaires que des bastions les plus huppés. On devine bien Tiga s’imaginer – allongé langoureusement sur son sofa, seul avec son allure féline – l’ampleur du braquage commis, et en savourer la pensée unique. Dans High School, il nous rappelle ce brun ténébreux du lycée, qui, à l’heure d’intercours, traversait avec nonchalance le couloir, arborant fièrement sa veste en cuir brillante et jouant des mécaniques, alimentant les qu’en-dira-t’on aussi bien féminins que masculins, masque d’un sentiment d’attraction puissamment trouble chez tous les sexes. Sexor est un album conçu pour faire crier les filles et pleurer les garçons!

The Ballad of Gay Tiga

Notre American Gigolo a plus que sûrement lu Bret Easton Ellis. Outre toutes les citations musicales et filmiques (à travers ses pochettes ultérieures) dans sa musique, ses paroles mais aussi sa communication – car, oui, Tiga est plus qu’un artiste, c’est un personnage, l’un des DJ les plus atteints de mégalomanie démonstrative, peut-être tout autant que son ami Diplo – Tiga semble être une créature aux accents bret-easton-ellisiens. Ou alors est-ce une concordance des temps, Ellis étant le romancier roi des excès d’une époque dont Tiga réclame le strass.

Qu’il l’ait lu ou non, Tiga a cette qualité qu’ont rarement les chapardeurs : celle de ne jamais cacher le panthéon dans lequel il pioche les références, le terreau sur lequel à germer sa musique. Si telle référence n’est pas comprise par l’auditeur, c’est bien, le canular fonctionne à plein régime. Et Tiga en rit. Si elle est repérée, Tiga avouant sans ambages ses maîtres, alors : bien joué, auditeur.

The Ballad of Sexor est sans nul doute un clin d’œil à Frankie Goes To Hollywood, tout comme le génial Type of Guy, lui aussi jouant sur les faux-semblants, reprend les sonorités synthétiques qui nimbaient l’album Speak & Spell des Depeche Mode. Les paroles y sont sublimement imbibées de souffre, finement provocantes.

And some say Sexor was a prince
And he could take your love with his fingertips
If so I just don’t understand why he wore those kid gloves on his hands
Whatever I gain,
Whatever I lose

I will stay the same,
My promise to you
Les inserts téléphoniques de voix übersexuelles, rappelant des dialogues de films comme ceux de Martin ScorseseQuentin Tarantino ou de jeux vidéo comme la saga Grand Theft Auto, graves et suaves, abondent en ce sens. Sir Sir Sir ressemble à du Human League, somptueux. C’est le genre de musique qu’un Patrick Bateman des années 2000 aurait écouter, Wayfarer aux yeux,  mèches laquées en l’air. L’hypnotisante Good as Gold, elle, ressemble à du Roxy Music électro-pop mélangé à un James Bond période Roger Moore, jamais parodique. Jouant à fond la carte de l’ambivalence sexuelle, un peu comme Soft Cell (groupe dont Tainted Love est la sonnerie de réveil, chaque matin) et tant d’autres le faisaient, on se demande si Tiga ne s’est trompé d’époque, ou s’il est de la jaquette. D’ailleurs… regardez bien cette pochette. Cela ne vous dit rien? Là encore, paroles sibyllines et mouvantes sont de mise, avec des scansions hautement obsédantes. Tiga est une fleur de rhétorique. Quant à Down In It, meilleure reprise du morceau de Nine Inch Nails, émane de ses synthés une dangerosité sourdement sexuelle. On déambule dans les arrières-salles, pénétrons les trous de la gloire des bars de La Chasse, la mort entre les jambes, ou dans la lune. À votre envie.

L’électro pop de Tiga joue au grand écart : chacun de ses titres ne s’enracine pas dans les années 1980, tout en les recouvrant d’un brillant synthétique, moderne ; c’est le contraire. On ne cesse d’entendre des allusions aux artistes l’ayant façonné (Corey Hart, Visage, Simple Minds, Joy Division, etc.), et pourtant, nous sommes bien devant un album électro pop des années 2000, n’appartenant qu’à elles. Pleasure from the Bass et Burning Down The House en sont les exemples les plus illustratifs. Les sonorités, très technologiques, rappellent aussi bien les années 1980 que l’acid de la décennie suivante, mais sont répétées de manière à s’encastrer dans un son électro typique des années 2000 chic, assurant tout continuum. Il y a quelque chose d’intemporel dans la musique de Sexor, sonnant aussi bien 1984 que 2006… et aujourd’hui. L’album n’a pas pris une ride. Le second titre aurait d’ailleurs pu se loger dans un disque d’Underworld ou de Cabaret Voltaire (dont il aura signé un remix… dans lequel il substitue la voix du groupe à la sienne…vous mesurez un peu le culot du bonhomme…?), la faute aux synthés. 3 Weeks rappelle un vieux Calvin Harris (ce qui n’est pas gage de bon titre), mais là encore, la voix et les paroles new romantiques de Tiga l’emportent sur tout. Les sons rayent le parquet, les synthés rugissent, comme de vieilles bécanes dont on essaierait d’extraire les entrailles… Le résultat ? Hautement inflammable.

Louder Than a Bomb est hillarante, Tiga se lançant, un peu comme un Martin Solveig dans ces albums et clips, à la même époque, dans un rap où il débite des paroles longues comme un bras, se faisant à la fois passer pour un baron et un proche des puissants. Alors que ce dernier n’a (presque) jamais pris un micro hors d’un studio, ni la crédibilité allant avec. Là est le subterfuge génial! Le gars aura transformé son délire égotique en un rêve réel. Tiga se couvre en usant de multiple maquillage – et ce toupet est hilarant – , mais il arrive qu’il se mette à nu, comme dans le touchant Brothers, sorte de paralogisme sur la gémellité fraternelle. Une déclaration d’amour émouvante à un frère jumeau, probablement. Ou pas…

Nous disions que Tiga aurait dû naître deux décennies avant. Nous aurions aussi pu dire qu’il aurait pu être acteur. Il a le physique de sa musique. Plus qu’un simple producteur, c’était un personnage. Nous utilisons le passé, car la frénésie l’entourant a freiné après son (décevant) second album Ciao! (2009), n’ayant pas confirmé l’essai. De même que le meilleur No Fantasy Required (2016), qui tentait de renouer, avec un peu trop de paresse, avec l’essence de Sexor. Rien ne dépassera son premier jet, merveilleusement lyrique. Et pourtant, comme beaucoup de génies procrastinateurs n’arrivant pas à offrir le meilleur de soi, nous pouvons l’affirmer : sa musique n’a jamais été à la hauteur de son intelligence. En maître des paillettes, tout était pourtant dit dans ces titres subliminaux. Comme si ce dernier s’était résolu à tourner la page, avait compris que sa musique n’avait plus sa place en cette époque. Depuis, il a diminué son melon pour être à plein temps à la tête de l’assez qualitatif label Turbo Recordings (créé certes en 1998, mais véritablement actif dix ans plus tard), dénicheur de talents et hôte de nombreuses stars d’un électro… qui est tout le contraire de celui de ces albums : sombres, très underground et aride, antipop. Ces sets, de même que ses productions éparses hors album, sont devenus des spectacles musicaux étranges et abstraits, où on entend, de temps à autre, un vieux morceau d’italodisco aimé, poindre d’une marrée de titres nébuleux, résurgence d’une époque révolu, tout comme d’un passé glorieux où sa figure précieuse et maniérée faisait les pages des premières de couverture.

Que dire de la version collector de Sexor, en quelques lignes? Un Time to Kill qui ressemble à du Yazoo. Un Move Your Body qui est du Mr. Oizo craché, les filières canadienne et française ayant soudé l’amitié des compères. Et une trombe de remix , soit réalisé par Tiga pour autrui, soit d’autres artistes, comme ceux de Tocadisco, rappelant les heures les plus sales de la dutch house. Les poils de la main – pourtant -imberbe de Tiga n’ont jamais donné de grands remix, si ce n’est quelques exceptions comme E Talking de Soulwax, qu’il remaquille aux couleurs de son univers avec une facilité folle. C’est oublié le culot employé sur le remix (ne figurant pas sur la version collector) de Madame Hollywood de Felix da Housecat, qui lui permit d’exploser sur la scène. Il s’agit d’une des histoires les plus tordantes du milieu, représentative de l’impudence risible du personnage. Pour l’anecdote, Tiga avait repris sans changer une seule note la piste très new wave de Felix, mais en remplaçant la voix atone – assez désagréable – de Miss Kittin par la sienne, chantante, troublant alors toute la scène, transformant par sa seule voix venimeuse et ses paroles le morceau pour un vieux Depeche Mode inédit. Pourquoi était-ce si impertinent et drôle? Car le remix n’était rien d’autre qu’une version étendue de l’original… en mieux. Un crime de lèse-majesté qui aura secouer la scène, désorientée. On ne pouvait que préférer cette version 2.0. si facilement améliorée par Tiga (et renommée « Tiga’s Mr. Hollywood remix« ), l’original apparaissant alors, comble de l’ironie, comme un brouillon inutile. Mais surtout, Tiga avait vampirisé la piste sans changer une seule note, prenant en otage les codes déontologiques du remix, entendu (toujours de nos jours) comme « réagencement » musical, en le transformant en une simple « amélioration » (ou addition), et ceci avec un effort minimal, et en volant, avec un énorme, mais génial pied-de-nez éhonté (mais assez malhonnête, car il s’agit juridiquement d’une cover) la vedette au pauvre Felix, qui ne lui en tint jamais vigueur et avait effectué 90% du travail, cette nouvelle version apparaissant aux yeux du tout-venant n’ayant entendu l’original comme la vision ex nihilo de Tiga… ce qu’elle n’est aucunement. Comble de l’effronterie, la musique originale étant idoine, Tiga s’offrit, pour un faible coût, le luxe de s’inscrire à côté des idoles de son enfance. Le canular fût tel qu’il mériterait d’être étudié en écoles de commerce.

Sexor, c’est surtout l’histoire d’un homme qui voulait être désiré et aimé par le plus de monde. Nous en venons à regretter le Tiga glamour et fascinant se rêvant vedette à midinettes. Sexor exsude tantôt le cynisme et l’amoralisme des plus sérieux, tantôt la tendresse du gentil farceur. Des qualités indéniables en soi. Et il l’aura réussit, à transformer ce délire égotique en rêve réel. Au fond, touchant comme beaucoup de stars exubérantes jouant la comédie, Tiga ne voulait qu’une chose : exister. Et il exista. Sa dernière création, le Club Sexor, un podcast ayant fait grand bruit lors de sa lancée début 2021, semble renouer, de par son nom, avec la candeur des débuts. On souhaite le revoir très vite se rallumer.

Tracklist (Versions Simple & Deluxe)
Version Simple :
01. Welcome to Planet Sextor
02. (Far From) Home
03. You Gonna Want Me
04. High School
05. Louder Than a Bomb
06. Pleasure from the Bass
07. Who’s That
08. Down in It
09. The Ballad of Sexor
10. Good as Gold
11. (Far From) Home – The Speed of Sexor Reprise
12. Burning Down the House
13. 3 Weeks
14. Brothers
15. Sir Sir Sir
16.Type of Guy

Pistes additionnelles (Version Deluxe) :

17. Jamaican Boa
18. Flexible Skulls
19. 8455584 Mommy
20. (Far From) Home – DFA Remix Joakim Edit
21. Time to Kill
22. You Gonna Want Me (Tocadisco Remix)
23. Move My Body (only4Erol Remix)
24. Burning Down the House (Remix)
25. Do It Don’t Stop
26. E-Talking (Tiga’s Disco Drama Remix)
27. You Gonna Want Me (Van She Remix)
28. 3 Weeks (Booka Shade Remix)
29. Good as Gold (Morgan Geist Monophonic Mix)

Ecouter Tiga - Sexor
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