Notre intérêt pour Peter Doherty est né au début des années 2000, quelques années/mois avant que les Libertines ne signent leur premier album, Up The Bracket, et ne deviennent un véritable phénomène médiatique. Les amateurs avaient appris à suivre sur le net et dans la presse spécialisée (qui existait encore à l’époque) les premiers échos du jeune groupe, mi-hype, mi-punk encore en couveuse et qui allait se signaler ensuite avec un premier single, What A Waster, produit par Bernard Butler de Suede. La période qui suivit fut à la fois décevante (le groupe n’existait plus vraiment en raison des frasques de Doherty) et passionnante. On pistait Doherty dans les tabloïds. On récupérait sur le net (puis en enregistrement pirates) des sessions acoustiques bluffantes et dans lesquelles il puiserait la matière de ses futurs albums. On suivrait ses amours, ses arrestations, ses idioties de jeune homme, la manière dont son personnage de poète anglais romantique, d’ambassadeur de la dope se déployait dans l’espace artistique et médiatique de l’époque. Doherty était une anomalie et une énigme, signant par intermittence des chansons imparables depuis le Can’t Stand Me Now des Libertines jusqu’aux incroyables Killamangaro, Fuck Forever ou Albion de son groupe de junkies magnifiques les Babyshambles, en passant par l’immortel For Lovers composé avec son ami poudré Wolfman, misérable personnage secondaire de cette odyssée grotesque. Doherty se faisait arrêter, humilier. Il enterrait Amy Winehouse et devenait français. Doherty était la caricature du rockeur anglais, perpétuellement sur le fil entre séduction et imposture.
Etait-il un songwriter de génie, l’héritier poète de Morrissey, perdu dans un rêve/cauchemar plus vieux que le rock, ou juste un jeune imbécile sans talent ? Il fut une époque où le débat faisait rage et où on hésitait sacrément. Depuis, tout le monde se fout du bonhomme qui a pris du ventre, est rentré dans le rang du haut de ses 18-20 mois sans drogue et a signé en 2022 un album à peu près correct composé par le français Frédéric Lo. Le livre annonce un possible album des Libertines qui sont restés sur le médiocre Anthems for Doom Youth de 2015. Pourquoi pas ?
La première autobiographie de Doherty est une bonne occasion de revenir sur tout ça et de se faire une idée précise du bonhomme. Écrite par Simon Spence qui a signé quelques ouvrages qu’on a lus sur les Mondays, les Stone Roses ou Steve Mariott des Small Faces, la biographie A Likely Lad, repose essentiellement sur des entretiens que Doherty a accordés à l’auteur ces derniers mois. Ceux-ci ont fait l’objet d’une mise en harmonie et d’une rédaction que Doherty n’a pas supervisée, ni même relue. Autant dire qu’on ne retrouve ici rien des qualités d’écriture de Doherty, de son style ou de quoi que ce soit qui lui soit propre. Le travail de Spence est correct mais sans style. L’approche est chronologique, bâtie sur un récit décousu et qui n’impressionne pas par sa précision et son souci du détail. L’auteur remercie quelques contributeurs réels comme Carl Barat et la sœur de l’auteur qui ont pu, on l’imagine, valider certaines options mais sans que le livre repose en aucune matière sur une recherche ou d’autres interviews croisées.
Le résultat est ainsi un peu décevant et à l’image de son sujet : désinvolte, peu concentré et assez superficiel. Les confessions annoncées par l’éditeur sont rares et la prise de hauteur par rapport au parcours du jeune Libertine sont globalement inexistantes et sans intérêt. A Likely Lad ressemble à l’un de ces échanges qu’on pourrait avoir avec ce genre de types autour d’un verre ou d’un feu de camp. On suit les années de formation du jeune Doherty comme si on matait un documentaire Netflix un brin complaisant et romancé : l’enfance insouciante, les voyages au gré des affectations du père militaire, les relations avec une soeur et une mère aimante. Doherty est un type sans problème, doué à bien des égards et qui ne prend vie devant nous que lorsqu’il se met à la musique. Spence passe assez peu de temps à sonder l’homme/le garçon qui, à 43 ans aujourd’hui, ne semble pas si différent du gamin qu’il était à 18 ans quand il rencontre son alter ego Carl Barat. Difficile de se faire une très haute opinion du garçon et du groupe dont on espérait relever la place dans le rock anglais de l’époque. Doherty se révèle moins cultivé et poète qu’il en a l’air : fan de The Smiths tout de même, aimant le rock mais vaguement opportuniste et animé par la volonté d’avoir du succès et de briller. Le sort des Libertines est lié à l’essor des Strokes et à un mouvement délibéré de les imiter aussi bien dans l’attitude que dans le son. De la biographie ne ressort pas l’idée qu’on venait chercher d’un talent particulier, même si les compositions parlent d’elles-mêmes. Doherty et Barat décollent au moment même où ils se dispersent et se dissolvent. Le groupe n’existe pas. Le duo est un songe. Doherty est à peine né qu’il meurt et se perd dans la came. Il aime le luxe et squatter dans la maison de campagne huppée de Kate Moss. What Else ?
Le reste du livre (300 pages et quelques) est un mirage : soirée, compositions, épisodes sordides tels qu’on les avait lus à l’époque dans les tabloïds. Pas de scandale, rien que de la misère et de la malchance, de la petitesse et des impairs d’enfant gâté. Doherty consomme, raconte comment il consomme et compose entre les deux. Alors qu’il répond aux questions de Spense, le musicien n’en dit pas plus. Il ne regrette rien, tend à minimiser toutes ses incartades et, en bon junky, à nier la vérité. Il considère que son comportement est valeureux, qu’il a du courage et n’a pas manqué TANT QUE CA à ses engagements artistiques, musicaux et amicaux.
Comme il ne se dégage pas du portrait une sorte de romantisme macabre de l’addiction et de la décadence façon Peter Perrett, il ne nous reste, en guise de consolation, que l’impression d’un beau gâchis et d’un parcours à peu près débile en tout. On aurait aimer Doherty à travers son portrait, lui trouver des qualités insoupçonnées, une profondeur en défense. On n’y arrivera que par intermittence, lorsqu’il rebondit, lorsqu’il écrit, lorsqu’il signe quelques beaux titres. Mais le faux héros ne déploie jamais beaucoup d’énergie pour quoi que ce soit : peu d’énergie pour travailler, pour écrire, pour élever ses enfants, pour être à l’heure, pour aimer vraiment, pour structurer sa pensée. On peut mettre ça sur le compte de la drogue. On peut de temps à autre considérer que c’est le prix à payer pour une liberté qu’il revendique. Ma foi…. On peut considérer que la rébellion portée par les guerillas gigs et autres Albion Rooms sessions portait un certain panache, mais c’est bien trop peu pour qu’on sombre dans l’idolâtrie. Le Doherty qui procède du portrait est plutôt minable, veule et le plus souvent indulgent envers lui-même.
Ceux qui n’aimaient pas le personnage seront confortés dans leur idée. Ceux qui hésitaient, comme nous, feront bien de ne pas lire le livre sous peine d’être confrontés d’un peu trop près à un personnage qui, bien qu’attachant et sympathique dans la durée, peine à mettre en avant ses qualités. A Likely Lad porte assez bien son titre. Doherty est posé là par l’auteur, dans sa normalité presque médiocre et fainéante, paresseuse et insolente, que ne rattrapent que les petits moments d’éternité que sont les chansons parfois magiques qu’il a semées derrière lui. On pourra s’amuser des détails (Kate Moss, son goût pour les femmes, ses petites angoisses, sa conception de l’Angleterre et deux ou trois autres bêtises de junky) mais il y a trop peu ici pour qu’on en fasse tout un plat et qu’on s’y resserve.
Doherty fait partie de ces artistes qui ne gagnent probablement pas à être trop bien connus. L’écouter peut suffire à s’en faire une idée fausse et intéressante. Le lire est de trop.