ProleteR / Life Playing Tricks
[Banzaï Lab]

7.3 Note de l'auteur
7.3

ProleteR - Life Playing TricksToulouse est décidément la Mecque française du beatmaking. Dominée sur sa face dark par le maître Al’Tarba, la ville rose pourrait bien, côté clair, passer sous la domination du lumineux ProleteR. Habitué à diffuser jusqu’à présent sa musique gratuitement sur le net, l’artiste et DJ toulousain, à la tête d’une communauté « réseaux sociaux » tentaculaire et internationale, signe enfin son premier EP pour le Banzaï Lab. Le 6 titres s’intitule joliment Life Playing Tricks et confirme tous les espoirs qu’on pouvait placer en lui depuis quatre ou cinq ans.

Baptisé ainsi parce qu’il continue (on l’imagine) à travailler à l’usine comme ouvrier, ProleteR s’était fait connaître par un premier EP truffé de samples de jazz. Il expliquait alors avoir voulu faire les choses différemment des confrères et s’être détourné d’univers trop darks qui constituent la norme du genre et parfois un refuge facile. Sortir de sa manche un beat bien lourd pour structurer un morceau est en effet souvent un signe de paresse. Au décès de son grand-père, ProleteR avait hérité d’une collection de disques de jazz dans laquelle il a pioché allègrement. On retrouve cette influence sur au moins l’un des titres de ce EP, l’emballant et très années 30, Moonligh Jive. Le morceau est emblématique du style épuré et globalement joyeux de l’artiste. On se croirait dans une sauterie fitzgeraldienne à la Gatsby le Magnifique. Jardin américain, où des convives stylés dansent élégamment tandis qu’un groupe multiracial joue sous le kiosque. La musique de ProleteR est assez proche dans l’intention du travail de Smokey Joe and The Kid. Elle est vive et tournée vers la danse, mais aussi plus limpide et moins empressée. ProleteR conserve en permanence une patine old school et une propension à évoluer sur des tempos ralentis qui confèrent à son approche un petit côté intellectuel à la fois apaisant et enrichissant.

Le EP démarre du reste dans un registre qui fait penser à certains travaux de feu Grand Central. Destiny est un morceau passerelle ultra cool entre soul, funk et hip-hop. C’est une entrée en matière efficace et référencée qui peut faire penser, par l’usage de distorsions transgenres, à ce qu’a tenté Justice au début de son parcours. Alone After All, le morceau qui suit, est plus intéressant et renvoie à la filiation jazz de ProleteR. La trompette est omniprésente, structurant le morceau qui déploie ses charmes dans un environnement intemporel au pouvoir de suggestion immense. Comme celle d’Al Tarba, mais dans un registre quasi opposé, la musique de ProleteR plonge l’auditeur quasi immédiatement dans un univers très visuel et alimenté par le cinéma américain. Sur Badass Girlz, le morceau le plus percutant des six, ProleteR nous transporte dans un environnement urbain fait de pimps américains et de black beauties. Le morceau fonctionne comme une balade nocturne dans les milieux sexy et interlopes d’une ville du Sud. Un poil New Orleans, un poil Memphis, la visite est épatante, sublimée par des samples vocaux de milieu de track qui renvoient aux grands crooners noirs américains. Le morceau a la classe et un pouvoir hypnotique redoutable, tout en refusant les effets faciles et les hooks trop évidents. On retrouve cette maestria sur l’autre titre fort du EP, l’assez génial Circus. En trois minutes et vingt secondes, ProleteR ressuscite le vieux cirque américain des premiers convois et des montreurs d’ours. La caravane passe, qu’on regarde avec des yeux de gamins. Le morceau est sublimé par des samples orientaux, des influences arabes ou berbères, qui donnent à ces instantanés sur le monde du cirque une dimension mystérieuse et immédiatement séduisante. On est persuadé (probablement à tort) d’avoir croisé le sample principal quelque part mais pas moyen de remettre l’oreille dessus.

Le EP se referme sur le superbe The Missing Piece, un morceau là encore d’une élégance irréprochable. Les voix à l’arrière-plan sont mixées avec beaucoup de talent, tandis qu’un mélange de sons synthétiques et organiques travaille au premier plan. ProleteR affiche sur ce morceau une belle maîtrise technique qu’il met au service exclusif de l’émotion. Le morceau est bref, bien construit et véritablement émouvant.

Pour assembler Life Playing Tricks, ProleteR a pioché dans une réserve d’une cinquantaine de morceaux qu’il disait avoir en réserve. Vue la qualité de l’ensemble, on espère très vite en croiser quelques autres en format long. Life Playing Tricks est une entrée en scène à la fois intelligente, exigeante et délicate. Le Toulousain déjoue les chausse-trappes traditionnels de l’abstract qui s’oublie et ouvre une fenêtre accessible et séduisante sur cet art pointilliste. La vie joue parfois des tours. Celui-ci finit bien et c’est tant mieux.

ProleteR – Life playing tricks EP

Tracklist
01. Destiny
02. Alone After All
03. Badass Girlz
04. Circus
05. Moonlight Jive
06. The Missing Piece
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