Bien campé à la 10ème place du dernier album d’Al’Tarba, la Fin des contes, ce Festin entonné avec les mercenaires de la Droogz Brigade nous avait évidemment tapé dans l’œil au moment de la sortie de l’album. A la fois parce qu’il se situait juste à la sortie d’un remarquable deuxième conte, juste avant le non moins épatant morceau chanté par Bianca Casady, et aussi parce qu’on reste persuadé que la trop rare Brigade est, sur chacune de ses apparitions collectives, le meilleur groupe de rap français en activité.
A l’heure des rappeurs star, du gangsta banlieusard et des combats de coqs sur les réseaux sociaux, les crew de rappeurs à la Wu Tang Clan (pour faire simple) ne sont plus la norme depuis longtemps. Trop chers à entretenir, compliqués à déplacer en tournée, peu dociles et sources de frictions entre amis qui conduisent assez vite à des catastrophes, les groupes de rap se font discrets. La Droogz Brigade, du haut de la cité toulousaine, fait figure d’exception. Rassemblement d’amis au long cours, franchise punk servie souvent par son beatmaker favori, la Droogz Brigade ne perd pas son efficacité, son impact et son insolence avec les années. Mieux que ça (et malheureusement), elle gère sa rareté avec ce qui s’apparente pour les fans à un supplice : une participation au projet d’untel ou d’untel, un titre glissé en loucedé sur l’album des copains, tandis que ses membres posent des feats, souvent décisifs, à droite et à gauche.
Avec pour l’heure un unique album dans sa discographie, le Projet Ludovico, et un double CD de vieilleries indispensable, le moins que l’on puisse dire est que le posse ne gaspille pas son talent. Chacune de ses sorties collectives n’en reste pas moins mémorable, à l’image de ce titre et de clip exceptionnels de bout en bout qui brassent, avec Al’Tarba en personne au couplet référenciel et ultraspeedé (peut-être sa meilleure séquence chantée), l’univers des contes du disque.
Staff L’Instable défriche le terrain et assomme la concurrence avec ce qui restera probablement l’entame la plus puissante et la plus incroyable de l’année (on lui avait donné le titre l’an dernier pour Pneumothorax). On veut à tout prix ce gars là en album solo. On ne sait pas ce qu’il attend pour se lancer. Avec bientôt la retraite à 65 ans, cela ouvre des perspectives. Rhama le Singe nous offre un couplet assez virtuose, nihiliste et punk avec beaucoup de légèreté (« on a aucun message on est comme coquillage« ), tandis que Sad Vicious, dont le flow paraîtrait presque paisible et sage par rapport aux trois autres, propose une séquence horrorcore, globalement profuse/confuse mais saturée en images terrifiantes et érotiques. Si on est pas certains de comprendre le sens de tout ça, on en garde une série d’images fortes qui, à cette échelle, ne constituent pas tant des punchlines à l’ancienne que des « apparitions », l’équivalent rap des jump scares et autres surgissements scénaristiques. « j’ai le flow chevrotine, depuis des temps immémoriaux je vis dans l’indicible, je fais pas de fantaisies, je suis dans l’horreur cosmique. »
Le Festin, avec son clip qui mêle l’esthétique du Pacte des Loups, de la Grande Bouffe et des figures de rap classiques, est portée en images par Chaz & Skip, lesquels rendent à la perfection la force du groupe et sa sauvagerie latente. On imagine que les loups n’ont pas été maltraités pendant le tournage mais qu’ils ont du avoir sacrément les foies d’être confrontés à de tels animaux.
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