Il y a quelques années de ça, on avait fait du Mans (Sarthe) la capitale française du shoegaze. C’était à l’époque pas si lointaine où The Dead Mantra, le label Cranes Records ou Bile Noire rivalisaient d’intensité dans leurs productions et réussissaient à couvrir les maudits moteurs vrombissants des bolides. Le soufflé était un peu retombé mais c’était sans compter sur un nouveau trio d’adorateurs du bruit, Carnage Piknik. Sous la nappe à carreaux traditionnelle et dans le petit panier d’osier, les trois jeunes délinquants, Hélio à la guitare, Milan le batteur et Eve la bassiste ont planqué de quoi faire exploser les dimanches à la campagne.
Âgés de 17 ans et 18 ans, les membres du trio se relaient au champ et incarnent une nouvelle manière de faire la musique : inclusive, démocratique et amicalement tonitruante. Carnage Piknik ne fait pas de quartier et vient de lancer dans la mêlée un premier EP, Silence As A Tone of Noise. Le titre résonne un peu facilement comme un manifeste et l’on trouve effectivement quelques silences bienvenus dans leur première collection de chansons. En une grosse vingtaine de minutes et cinq pièces, les Carnage Piknik s’imposent comme l’une des plus prometteuses usines à étincelles du pays. Le premier morceau qui donne son titre au EP est parfaitement construit, partant de peu pour arriver à un grand tout bruitiste, parlé/craché, en forme d’apothéose. On connaît ce mouvement crescendo qui se perd dans un brouillard électrique, si fort qu’il en devient métaphysique, et on ne s’en lassera sans doute jamais. Mais on a une petite préférence (une grosse…) pour le génial What’s Left, plus direct, simple et punk. La voix d’Eve hypnotise et égrène tout ce que l’héroïne désolée de ce « récit » speedé et punk a laissé en route. What’s Left (for her)? sonne comme la petite sœur 4.0 d’un She’s Lost Control débarrassé de toute liturgie.
Fuzz war passe en puissance dans un registre plus classique et martelé, plus mécanique et qui tabasse le spectre d’un math rock bruitiste. Cela reste formidablement bien fait avec notamment une séquence finale fort/faible qui fait grésiller de plaisir. On croit entendre avec Interlude une des premières/dernières productions de Joe Meek dans sa salle de bains studio, captées avant qu’il ne descende dans l’escalier avec son fusil. Less Is More se veut la pièce de résistance de l’EP, avec ses 8 minutes intimidantes. Le titre reflète l’audace du groupe et son envie de bâtir comme ses aînés une cathédrale de bruit et de douceur. La prise d’espace est réussie avec des chœurs et un ralentissement quasi folk et spectral du rythme, mais nous donne envie d’en entendre encore plus plutôt que de manger du raisin dans l’herbe. La production est au poil, assurée par l’impeccable Lionel Laquerrière (Geysir, Elektronische Staubband)
Ce premier EP n’est pas loin d’avoir tout bon. C’est toujours agréable de se faire dire la vérité par de plus jeunes que soi. Carnage Piknik est prêt pour d’autres boucheries et on leur souhaite beaucoup d’insuccès, de frustrations et de sources de colère blanche.