De La Vache qui Fume en Corrèze jusqu’aux salles parisiennes, avec détour destroy par Lyon, nous avions signé un pacte de sang avec la musique dadaïste, crue et follement macabre de la paire Laurent Dussarte et Maxime Saint-Jean. Rhume vengeait l’auditeur fatigué par tant de bienséances françaises, de mots trop doux tout gentils, par tant de chanteurs et chanteuses aux propos pas très loin du stade ultime de la connerie analphabète. Rhume, sur un premier album éponyme (2013, si loin), clamait le réveil en fanfare d’une langue nationale dopée aux amphets et à l’isolement psychiatrique – mais n’est-ce point dans la folie que les vérités s’énoncent ? « Un lendemain de cuite très sévère avec des hallucinations olfactives (…), mais il faut sortir ! ” hurlait le duo, sans se douter que leurs apôtres, huit années durant, ne cesseraient de repenser à Rhume de cette façon : désintégration ? Lassitude ? Ou bien peut-être, comme chez beaucoup d’entre nous, quotidien familial trop submergeant pour se laisser aller au besoin créatif ? « Mais il faut sortir ! ”, oui, oui, mais quand ?
Entre 2013 et aujourd’hui, la pop française, qui déjà hier méritait souvent de cramer sur un bûcher, n’aura fait que s’abêtir à force d’explications opportunistes, de « moi je » bien plus mercantiles qu’inconsciemment universels, de tentatives risibles consistant à commenter l’époque (sacrée blague pour chanteurs mal rasés quémandant trois pages dans certains hebdos culturels pour jeunes vieux). Pour ne pas jeter notre chaîne stéréo par la fenêtre, il fallait compter sur des renégats tels que David Litavicki et Pierre Gheno (Churros Batiment, notre Rhume préféré de la décennie), et c’était à peu près tout. J’exagère à peine : combien d’anciennes punkettes ou d’ex chroniqueurs frenchy but chic ai-je rencontrés au cours des quatre dernières années, tous m’affirmant ne plus réussir à trouver un point d’osmose avec le rock ou la pop en français ? J’avançais l’hypothèse Rhume pour motiver grandes sœurs et grands frères. Encore Laurent et Maxime devaient-ils en remettre une couche (au vitriol).
Octobre 2021 : Rhume sort enfin son arlésienne de second album, et le monde, dorénavant peu habitué à ce genre de musique cash crash, s’en retrouve déboussolé au point de ne savoir qu’en dire.
Vigilance Rose : un disque qu’auraient adoré ou adoreraient Guy Debord, Pierre Bourdieu et Arnaud Viviant. Une sorte de péplum synthétique hip-hop porté sur le médical, la décrépitude corporelle, la vieillesse qui phagocyte et qui s’avale des boites d’allumettes en guise de dessert. Un élan mi-bougon, mi-rigolard, qui se rétame sur le bitume et en extirpe des conclusions tellement surréalistes que l’auditeur les prend pour argent comptant. Dix (?) titres se contrebalançant royalement du sempiternel couplet / refrain, préférant naviguer dans un « Train fantôme » où rien n’est acquis, rien ne se prévoit, rien ne se formule aisément. Un album qui verrait le duo prendre plein de drogues au moment de rendre visite à mamie dans son EHPAD, puis, en connivence, converger sur l’importance ou pas des messages nerveux sensitifs et moteurs… Rhume n’a guère changé, et c’est très bien ainsi : le groupe ne ressemblant à rien, mais notre époque sanitaire ressemblant, elle, à moins que rien, Laurent et Maxime s’apparentent aujourd’hui au néologisme « infriste » inventé par Diabologum en 93 (« Vous êtes des nigauds / Nous sommes des moins que rien / Vous êtes des zéros et nous sommes des moins un”).
Plus ambitieux musicalement que leur premier album, même si Rhume, inévitablement (et heureusement, même), y abandonne les constats revanchards sur les rapports filles / garçons (comme nous, Laurent et Maxime ne détiennent plus l’âge pour ce genre de superficialités trentenaires), Vigilance Rose – toujours produit par le fidèle Christian Quermalet – est à la limite d’un disque symphonique (l’analogie avec le péplum n’était pas que frime lexicale). Il y a donc ici une sacrée ouverture pour une troisième expédition de Rhume en territoire pop. Avant les huit prochaines années, SVP, les gars ?