Chaque nouveau clip de Scalper constitue comme une carte postale envoyée de l’autre bout du monde et qui permet de mesurer à quel point le désespoir et les ténèbres gagnent du terrain. Scalper est aujourd’hui le chanteur hip-hop qui renvoie le plus clairement et le plus violemment l’homme à ses hésitations morales, à ses questionnements existentiels. Scalper ne parle qu’assez rarement de lui. C’est l’homme qui l’intéresse, sa mission, sa destinée et l’expression de sa nature profonde qui forment les thèmes récurrents de ses chansons. Chacune d’entre elle est autant un uppercut sonore qu’une claque métaphysique, portée avec la puissance d’une faille tellurique, d’une brisure, avec ce qu’il faut de force et de pessimisme. La musique de Scalper n’est jamais rieuse, jamais légère, ce qui fait de lui l’un des rappeurs les plus exigeants et sûrement les plus dérangeants du circuit.
Annonciateur d’un nouvel album, The Beast and The Beauty, semble-t-il déjà enregistré et prêt à paraître début 2021, ce Dust est une pièce crasseuse, rude et brutale qui rappelle par sa production volontairement épaisse les travaux précoces du MC à sa sortie de Fun-Da-Mental.
Le clip, filmé à Nancy lors d’un séjour du Britannique en France l’an dernier, bénéficie de la présence hypnotique d’ODM Otomo, performeur et artiste français, queer et politique, qui incarne ici la part obscure du chanteur avec une sérénité et une folie extraordinaires. Dust est un morceau merveilleux, habité et crépusculaire qui s’interroge sur la capacité destructrice/créatrice de l’homme. D’un monde bâti initialement (et sur impulsion divine) depuis la poussière, l’homme serait-il en train de rétro-agir et de parvenir par son action de sabotage permanent de tout ce qui vit à redétricoter la création. Avec ce nouveau tas de poussières, interroge Scalper, peut-on se substituer à Dieu et créer à nouveau quelque chose de consistant ? Le face à face entre Scalper et Otomo Vampire est saisissant et incarne la dualité de la nature humaine dans ce qu’elle a de plus radical et violent.
Le tas de poussière pourra-t-il prendre forme à nouveau ? Des monstres sortiront-ils des cendres ou parviendra-t-on à redonner un visage au futur ? Que de tels questionnements puissent trouver une illustration aussi complexe et profonde à travers une chanson de quelques minutes constitue année après année une divine surprise. Que cette musique soit autant négligée n’en est pas une malheureusement. Les contes cruels n’ont plus guère de place dans cette époque.