Il y a les disques que l’on n’attendait pas, authentiques découvertes ou régénérescences surprises, bouffées d’air frais prouvant que le rock est tout sauf mort. Il y a aussi bien sûr les disques que l’on attendait, confirmation de promesses entrevues sur un album précédent ou un single prémonitoire. Et puis il y a ceux que l’on attendait distraitement, sans trop savoir à quoi s’attendre d’ailleurs ; œuvre pré-supposément routinière d’artistes confirmés, compagnons musicaux de longue date dont on suit les aventures avant tout par fidélité et qui, d’un coup, sans trop savoir pourquoi, explosent en mille feux, brillants et étincelants. Les derniers (enfin, avant-derniers) à nous avoir fait le coup s’appelaient Epic45, sympathique duo accrocheur mais jamais transcendantal jusqu’à ce Cropping The Aftermath absolument dantesque en 2020. Deux ans plus tard, c’est toujours du côté de vieilles connaissances anglaises, dans une communauté d’esprit plutôt évidente qu’on se prend un uppercut salvateur qui va venir sauver une année musicale comme souvent convenable, agréable, mais à laquelle il manquait cette étoile qui brille fort, tout là-haut.
A New Kind Of Summer, second album de National Screen Service est donc cet album censé, avec d’autres, n’exagérons pas, faire de 2022 un cru dont on pourra dire dans quelques années, qu’il aura marqué les esprits. Dans sa catégorie bien entendu : inutile de faire croire que ce disque intime et férocement underground, vinyl pressé par un label US à une poignée d’exemplaires distribués sous le manteau à un parterre de fans américains et européens conquis d’avance, va bouleverser l’histoire du rock. Mais ça, Mick Harrison y est habitué. Bassiste de l’un des plus excitants et sous-estimés groupe des années 90, Prolapse, il traine son spleen depuis 2014 à coup de sorties Bandcamp qui n’intéressent pas grand monde et d’éditions physiques ultra limitées : une cassette à 40 exemplaires, un premier album en CD-r au tirage à peine plus conséquent, les deux chez Beko. Seulement voilà, si on peut complétement faire confiance aux A & R des gros labels pour détecter chez un groupe son potentiel commercial, celui qui évidemment a toutes les chances de plaire au plus grand nombre, on sait aussi que la qualité artistique est complétement décorrélée de ces contingences économiques. A New Kind Of Summer en apporte une nouvelle preuve éclatante.
Il est aussi le rappel, même si on le savait déjà depuis belle lurette qu’à une valeur objective dont les contours sont toujours un peu difficiles à dessiner (une innovation, une prise de risque, des textes particulièrement travaillés) supplée généralement celle, subjective, de la rencontre intime entre une œuvre musicale et son auditorat. Ce sentiment si particulier de se dire, sans exagération ni forfanterie, dès la fin de la première écoute, que ce disque a été composé pour soi. Un sentiment parfois compliqué à partager avec justesse pour simplement vous donner à vous aussi l’envie d’aller écouter si ce disque n’a pas également été un peu composé pour vous. A New Kind Of Summer est muet, n’apporte pas vraiment d’innovation et Mick Harrisson n’y prend pas non plus des risques inconsidérés. Tout juste sort-il un peu, ce qu’il faisait déjà en partie sur le précédent Hotel Of The New Wave en 2017, de sa zone de confort qui le voyait sur ses premières productions s’aventurer dans les limbes d’un drone vaporeux un peu ambiant, un peu shoegaze, intéressant dans la création de textures mais manquant, loi du genre, un peu de relief. Ici, en s’adjoignant sur l’ensemble des morceaux les services du batteur suédois Paul Saarnak, National Screen Service donne clairement le ton d’un album qui rentre dans le rang pop-rock mais s’apprête à relever un défi inattendu : faire de ce A New Kind Of Summer un album lumineux et étincelant comme rarement.
Est-ce le changement climatique et le drôle d’été 2022 qu’ont passé les anglais qui n’auront bientôt plus besoin de migrer vers les côtes espagnoles pour avoir durablement chaud qui a inspiré ce nouvel état d’esprit ? Sans doute que l’album avait été enregistré avant mais la symbolique demeure plaisante (quoiqu’au fond inquiétante, ne nous y trompons pas). Si le qualificatif de « pop » est encore galvaudé au vu du pedigree du bonhomme, de l’absence totale de chant, de la persistance d’éléments électriques et ambiant parfois encore un peu austères et d’une approche par boucles qui relève plus du psychédélisme version krautrock, A New Kind Of Summer est d’abord un album qui s’impose par l’efficacité de mélodies particulièrement chatoyantes et par des structures harmoniques qui illustrent que la simplicité est souvent le meilleur des choix à faire. Ici, rien de compliqué : guitares et synthés nappés, une batterie qui use en abondance des fameux « rythmes interdits » par d’autres et des lignes de basse, la spécialité de Mick Harrisson, aussi rondes et profondes que minimales. Il n’en faut pas plus pour créer des atmosphères à la fois familières et propices aux développements paroxystiques. Si on pourra toujours pinailler quant au fait que les structures des morceaux sont souvent jumelles, la mauvaise humeur s’en va bien vite, prise en otage par ces montées harmoniques merveilleuses qui agissent comme un syndrome de Stockholm. Le temps est généralement long, la plupart des huit morceaux s’étirent en égrenant les minutes et pourtant on ne voit pas le disque passer.
National Screen Service sait y faire pour capter l’attention, parfois curieusement comme quand il ponctue Claudia Forever d’étonnants ronronnements, parfois sadiquement quand il met, à l’ancienne et au hasard, un bon coup de ciseaux dans la bande de A New Kind Of Summer, le titre, véritable coitus interruptus en pleine transe d’une suite d’arpèges que l’on pensait infinie, ce qui ne laisse d’autre choix que d’y retourner. Il se plait à distiller ici et là, plus que des influences (on lui en fera grâce au vu du CV du bonhomme), des clins d’œil, des motifs reminiscents qui font penser à Slowdive (assez souvent, il faut en convenir), le Cure de Disintegration ou le The Album Leaf du début des années 2000 sur un The Sound Of Your Childhood d’une grâce incroyable qui tranche avec un passé sulfureux au sein d’un Prolapse gouailleur et électrique dont le chanteur Mick Derrick ferait passer Grian Chatten ou Jason Williamson pour des enfants de chœurs. Mais ici, point de heurts, ni la moindre trace de violence ou de brutalité. L’album trace une route absolument paisible, laissant même s’échapper sur Katy les rares et douces sonorités d’un glockenspiel. Seules les dix minutes toutes rondes parfaitement krautrockeuses de Jay qui concluent le disque nous entrainent dans un univers plus électrique où l’urgence se dispute à la beauté de guitares qui varient, se dédoublent et se superposent pour finir par s’entrelacer sur une rythmique absolument imperturbable.
Comme ces nouveaux étés qu’on nous promet, A New Kind Of Summer est bien parti pour durer sauf que lui n’est pas le fruit de la bêtise et de l’inconscience humaine, mais bien de son génie. Cette capacité qu’ont certains, et ça n’est pas pour rien qu’on les nomme artistes, à transformer durablement par leur œuvre la vie des gens. Peu importe qu’ils ne soient pas nombreux, peu importe que National Screen Service ne rassemble pas les foules, ça évitera déjà toute velléité de capitalisation autour de son œuvre par des marchands d’art comme les grosses maisons de disques le sont. Pour autant, hors de question de garder la pépite pour soi : A New Kind Of Summer, gracieux et aérien, mérite de prendre l’air, sortir au large, se faire connaitre du plus grand nombre, au moins de celles et ceux que l’on sait sensible à la cause