Smokey Joe & The Kid / Running To The Moon
[Banzaï Lab]

Smokey Joe & The Kid - Running To The MoonLa France est-elle en train de devenir le pays du beatmaking ? Si oui, entre Al’Tarba, hier et peut-être demain, et Smokey Joe & The Kid, il semble que Banzaï Lab soit en train de devenir l’Eldorado du genre. Là où le Toulousain brille par ses ambiances sombres et inquiétantes, Smokey Joe & The Kid, duo bordelais qu’on a pu croiser, en dehors d’un premier album prometteur, sous d’autres alias (IRB pour Smokey Joe, Senbeï pour The Kid), incarne le côté clair et joyeusement virevoltant de la Force. Dans les deux cas, cette musique fait du bien et nous confirme dans ce qu’on pensait depuis quelques années : il aura fallu vingt ans pour que nos prods soient au niveau du gratin américain. C’est maintenant une certitude : la France n’a plus à rougir et à baver sur l’Amérique. Avec son intelligence et son approche des samples, sa connaissance historique et son univers musical élargi, la Vieille Europe a tout pour devenir le cœur battant du hip hop international.On ne comprend d’ailleurs pas, alors que la french touch a réussi au delà de toute mesure son OPA (temporaire) sur la techno internationale, pourquoi tous ces artistes semblent cantonnés encore à l’Hexagone. Mais c’est une autre histoire.

Si notre préférence va clairement à Al’Tarba, pour des questions de force, de proximité référentielle et de densité, il faut bien reconnaître que Smokey Joe & The Kid proposent, après Nasty Tricks il y a quasiment trois ans, un mélange désormais sacrément abouti. Si Al’Tarba navigue dans l’univers du horrorcore et des vieux films d’horreur, Smokey Joe & The Kid semblent avoir fenêtre ouverte sur une audiothèque musicale venue des années 20 ou 30, voire carrément avoir bénéficié d’une faille spatiotemporelle leur permettant de saisir, magnéto au point, les sons et ambiances des Années Folles. Ca virevolte, ça tourneboule. Le disque pétille d’extraits sautillants, de samples vintage et d’instruments jazzy qui font l’ordinaire et la marque du duo depuis leurs débuts. Ce deuxième album met le curseur très loin en matière de swing et les éloigne encore du son plus sec et hip hop de leur premier disque. Tout ceci est mixé au plus près, comme saisi sur le vif au point qu’on se demande parfois si les samples ne sont pas joués live dans le studio. La pochette sublime rappelle elle aussi cet univers d’Aristochats d’aujourd’hui, entre clubs de jazz, prohibition, filles qui fument le calumet de la paix/pipe et premiers pas du cinéma parlant. Cet univers rafraîchissant illumine le disque, à l’image du titre éponyme qui déploie brillamment ses trois minutes comme un vieux bulletin d’informations en cinémascope. Sauterie dans les Années Folles. Ca va swinguer chez les petits poulets. Cela n’empêche pas le duo de proposer plus loin des beats solides et de détourner les codes du jazz big band pour les tirer vers des ambiances 100% hip-hop. Le morceau Just Walking qui bénéficie du featuring somptueux de Chill Bump est un bel exemple de cette contamination joviale. Les trompettes cuivrées et beats à basse jouent au diapason suggérant une ambiance à la fois festive et résolument moderne. Un pur bonheur et une alternative haut-profil au rap bling-bling s’impose : on peut composer du rap champagne sans se taper les bagouzes et les filles à faux nichons.

Si ce cocktail, parfois un brin désuet et anachronique, fonctionne aussi bien, il le doit, au-delà de l’inventivité du duo, à des featurings qui fonctionnent tous à merveille et viennent animer une structure impeccable. La reconstitution est néanmoins si fidèle et méticuleuse que l’auditeur contemporain n’échappe pas au sentiment d’étouffement ou à l’idée qu’une partie du décor est en carton-pâte. Pigeon John fait un excellent boulot sur Six Feet Below, l’un des meilleurs titres du disque, avec son flow à trois pieds, délicat et félin.UA TEA, sur la chanson qui suit, Bank Holiday, introduit pour la première fois la figure attendue de la Femme Fatale vénéneuse et bien en chair. On a beau ne pas être ici dans notre univers habituel, le résultat est bluffant et rappelle un jour de 1923 où on avait été invité au goûter d’anniversaire de Scott Fitzgerald. Running To The Moon impose au fil des titres une forme de narration en continu qui taquine tous les thèmes associés au genre : Yoshi impressionne sur un Prohibition 2 qui regorge de trouvailles, tandis que Blake Worrell nous embarque, après la fiesta chez les Blancos, dans une ambiance autrement plus canaille. L’exploration de cet inframonde venu des années 20 ou 30 est réellement bluffante sur les deux premiers tiers du disque.
Cela ne nous empêche pas de respirer quand on semble passer à autre chose sur l’imparable Smokid All Stars. Smokey Joe & The Kid, se dit-on alors, se sont peut-être lassés de cette ambiance rétro et ont décidé de revenir à notre époque. Le titre est élégant et racé. Les derniers morceaux naviguent du reste dans un univers légèrement décentré par rapport au ton général : plus contemporains, plus sombres à l’image du superbe Gravel Sack Incident, on se demande finalement si Smokey Joe and The Kid ont eu raison de s’immerger aussi profondément dans une « époque » plutôt que de simplement s’appuyer sur cet univers de référence pour parler d’aujourd’hui. Le résultat est brillant, techniquement parfait et met des fourmis dans les jambes, c’est un fait. Il perd toutefois un peu de son impact et de sa force quand on le rapporte aux morceaux les plus contemporains, comme si à trop vouloir en montrer le duo avait livré un exercice de style plutôt qu’un album décisif. Etrangement, on préfère l’ultra classique Yesterday Is Gone d’une sobriété remarquable, avec Waahli au chant, aux sarabandes du début. Le dernier titre, Learning Through The Way, nous laisse aussi pas mal de regrets en ce sens.

Ne faisons pas la fine bouche néanmoins. Les Bordelais frappent un grand coup ici et déposent à nos pieds un nouvel album passerelle qui doit permettre aux gens de prendre conscience que c’est dans ce genre-ci que se trouve peut-être l’avenir des musiques populaires. Ce n’est pas de la variété ou du RnB, pas la soupe à tonton, ni du musette, mais bien un oasis pop où l’on trouve de tout et qui correspond enfin à un moment historique où l’on peut envisager le foutoir (dans lequel on vit et on meurt librement) avec intelligence. En clair, ce n’est pas de la musique pour abrutis mais qui pourrait bien le devenir s’ils ne l’étaient pas autant ! Pour leur troisième album, on espère que Smokey Joe and The Kid vont aller au bout de leur affaire et enfin jeter la béquille dans les orties. On sera là en tout cas.

Tracklist
01. Ouverture
02. Running To The Moon
03. Just Walking feat. Chill Bump
04. Six Feet Below feat Pigeon John
05. Bank Holiday feat UA TEA
06. Funny Guy feat Fred Wesley
07. Prohibition 2 feat Yoshi
08. So Sexy feat Blake Worrell
09. Please Come Home
10. Smokid All Stars
11. The Gravel Sack Incident feat ASM
12. Yesterday is gone feat Waahli
13. Learning Through The Way
Écouter Smokey Joe & The Kid - Running To The Moon

13. Learning Through The Way
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