Il est assez probable que le monde et le pays se porteraient mieux si tout le monde écoutait la musique de Yannick Noah et tentait, peu ou prou, de se conformer aux valeurs et aux messages d’amour et de bienveillance qu’elle met en avant. Depuis ses débuts tennistiques à la fin des années 70 jusqu’à sa victoire le 5 juin 1983 en finale de Roland Garros face à Mats Wilander (match remporté 6-2, 7-5, 7-6), Yannick Noah incarne aux yeux des Français une figure sympathique, pleine d’allégresse et de tolérance, mais aussi susceptible de leur apporter force, réconfort et énergie. Son histoire personnelle est un conte et sa reconversion en chanteur populaire (intervenu il y a plus de 25 ans maintenant) une sorte de miracle qui s’est traduit par douze albums d’une qualité très incertaine et dont les ventes, bien que déclinantes, n’ont jamais démenti la capacité du chanteur à remplir les salles un peu partout en France. Yannick Noah est à lui tout seul un précipité de « développement personnel », une capsule humaine qu’on peut absorber pour se sentir mieux et devenir un homme meilleur.
Yannick Noah reste à 59 ans (il est à peine plus jeune que Morrissey, Madonna, Robert Smith, l’aristocratie du rock international) le « petit fiancé de l’Hexagone », une sorte d’alternative à peine plus clivante désormais à Johnny Hallyday dans un pays qui n’admet depuis la mort de l’Abbé Pierre (et celle de Mimie Mathy) plus aucune figure fédératrice en dehors du football. Yannick Noah a une valeur patrimoniale qui est à peine ternie par le fait qu’il ait fini par incarner avec le temps un idéalisme cosmopolite et transnational auquel plus personne ne croit guère. Yannick Noah est un homme désuet, dépassé par le cours de l’Histoire. Les milieux droitiers le détestent et ceux de gauche s’en distancient parce que son angélisme finit par mettre mal à l’aise. Est-il possible de rêver à ce point ? Comment ne pas voir que le monde est un désastre ?
Sur ce douzième album, il semble que Yannick Noah en ait un peu rabattu. Le chanteur s’éloigne quelque peu de son personnage de prêcheur de vérité et de bonnes pratiques, qui en agace plus d’un et le menaçait de Lilianthuramisation, pour devenir un homme qui doute. Il ne le fait pas à la Descartes mais en développant une nouvelle forme de pragmatisme spirite où la musique tient lieu de réponse joviale aux tâtonnements de l’existence. Le morceau clé du nouveau Noah est la chanson La mélo, manifeste RnB et philosophique mâtiné d’épicurisme et de macronisme volontariste où le texte ne trompe pas : « Vivre le présent sans avoir de regrets/ faire de chaque instant comme si c’était le dernier/ J’aimerais ne pas poser de questions/ embrasser l’horizon/ Je ne prétends pas tout savoir/ j’ai cherché dans la mélo les réponses que j’attendais/ J’ai fait le tour du monde sans jamais abandonner/ vivre simplement sans viser le progrès/ ne plus battre en retrait/ tirer un trait/ Impossible n’est pas français/ Si tu le décides tu peux te dépasser… » Bonheur Indigo est un album qui célèbre le retour à une forme de modestie Do It Yourself, une éthique du self made man 2.0 où la simplicité et la spontanéité sont placées au cœur de la réussite. Le contre-discours est parfait mais pas en contradiction avec les valeurs libérales dominantes, Yannick Noah offrant finalement au peuple un syncrétisme intéressant entre les discours dynamisants post-1998 (la Coupe du Monde) et les raisons d’espérer macronistes (vous y arriverez si vous le voulez vraiment).
L’album démarre par une magnifique chanson Alerte Indigo, légère, gracieuse et parfaitement interprétée. Noah est servi par une belle lisibilité musicale qui illumine véritablement le disque. La production est claire et ne cherche pas à faire l’intéressante. L’album est purement variété, souvent animé par des déclinaisons reggae, saudade, africaines, des décrochés afrotrap (cheap et risibles tant le phrasé de Noah peine à les assurer) mais qui témoignent du savoir-faire et de l’intelligence de ses arrangeurs-réalisateurs. Marlon B (qui travaille avec les sinistres mais méthodiques Brigitte) et Nino Vella (Black M, Arcadian) sont aux manettes tandis qu’on croise d’autres noms intéressants, dont celui de Doriand ou encore le fidèle Jacques Veneruso (Sardou, Patrick Fiori, Florent Pagny), parmi les contributeurs. Yannick Noah a surtout l’intelligence de ne pas recouvrir sa voix qui reste, dans son humanité et avec ses défauts, un vrai gage d’authenticité par les temps qui courent. Il y a en effet toujours un monde entre ceux qui essaient encore de chanter et ceux qui vont chercher la béquille métallique et criminelle de l’auto-tune. Et peu importe si la voix n’est pas parfaite sur Todo Esta Bien ou peine à atteindre certaines notes sur Encore Temps, Yannick Noah vibre et donne un souffle à sa musique qui en constitue la principale qualité.
Les thématiques sont très actuelles, concernées, attendues mais annoncées sans trop d’emphase. Encore Temps parle écologie avec un certain détachement, comme si Noah y allait en pilotage automatique. Le chanteur est plus impliqué quand il s’agit d’évoquer la question sociale, ce qu’il fait avec beaucoup de style sur son single, Viens, courageux et chanté « comme le font les jeunes » à la mode afro-trap (pour les vieux). « Il faut être la brute ou le truand/ Petit, regarde droit devant/ des hommes y dansent contre-courant/ Mais allez, allez viens/ Y’a pas que ton frère qu’y est ton frère. » Le mélange de poésie et de conscience claire fonctionne bien tandis que les rythmes afro-caribéens servent parfaitement le propos. Sorry un peu est en revanche une purge, chanson pour laquelle rien ne marche et qu’il vaut mieux éviter. D’une manière générale, Yannick Noah est plus à l’aise et convaincant dans les chansons uptempo que dans les chansons douces, calmes et contemplatives, sur lesquelles il ennuie presque toujours. Namaste en est un bon exemple, chanson horripilante et inutile. Ralentir le tempo signifie à chaque fois tenter une philosophie hasardeuse ou se donner le temps d’asséner une demie vérité qu’on ne partage pas et qui, au mieux, aura des allures de tarte à la crème. La dynamique des LPs modernes fait que Noah est toutefois tenu d’équilibrer en vivacité les pièces qui constituent l’album, ce qui joue parfois contre lui. N’est pas Laurent Voulzy qui veut.
Sans doute faut-il signaler aux amateurs la petite curiosité que constitue Love, Love, Love, qui démarre comme un morceau d’Alain Chamfort, pop et synthétique, et s’abîme dans un refrain prônant le cocooning réconfort. « Il faut qu’on se love n’importe où. Il faut qu’on se love, love, love. » Oh bon sang. C’est à la fois une abomination et une belle tentative pour Noah d’intervenir dans un champ plus pop qu’il n’investit que trop rarement et dans lequel il est probable qu’il n’a aucun avenir. Le dernier tiers de l’album est d’ailleurs le lieu d’expérimentations d’écriture plutôt amusantes. Baraka est un texte que n’aurait pas renié Bernard Lavilliers, aventure exotique et câline assise sur un véritable récit qui fonctionne à demi tellement il est surprenant placé dans la bouche de Noah. En mode reggae, Peau Lisse Man (attention, jeu de mots) assure l’interlude jamaïquain sans grande imagination. Bonheur Indigo compte son lot de titres médiocres bien que sympathiques où le texte et la musique ne sont pas suffisamment intéressants pour qu’on en retienne quoi que ce soit. C’est le cas du mièvre Au Mieux le Meilleur et du rasoir Le Chemin qui termine l’album.
Bonheur Indigo est un disque qui figurera parmi les meilleures réalisations techniques de Yannick Noah. C’est un album équilibré et pas désagréable pour deux sous, un album « feel good/think low » dont il ne faudra pas abuser sous peine de friser l’overdose de bons sentiments, mais qui pêche tout de même par son manque de densité, de complexité réelle, d’engagement et de personnalité. Avec le temps, Yannick Noah a tendance à souffrir du syndrome d’Antoine. Le message se délivre un peu seul, sans que le messager ait besoin d’intervenir, comme s’il avait au final disparu sous la musique (relâchée) et les textes qui s’écrivent seul. Est-ce que Noah croit encore en ce qu’il raconte ? On peut penser que oui même si c’est nous qui ne l’écoutons plus qu’avec indifférence. Noah ne parle jamais de lui, ni de ce qu’il peut vivre. On dirait qu’il s’est fait intégralement bouffer par son personnage et par cette « part extérieure » de lui-même que Dieu a envoyée sur Terre pour sauver la France.
A tout prendre, peut-être qu’on préfère Patrick Sébastien.
Rappel : la notation des disques dans cette rubrique Soup Music est comprise entre 0 et 4.
02. Encore Temps
03. Todo Esta Bien
04. Viens
05. Sorry Un Peu
06. Namaste
07. La mélo
08. Love, Love, Love
09. Baraka
10. Au mieux le meilleur
11. Peau Lisse Man
12. Le chemin