[Soup Music #10] – Keen’V / Rêver
[Parlophone]

5 Note de l'auteur
5

Keen V’ - RêverOn avait lancé cette série Soup Music il y a deux ans jour pour jour avec l’album de Thérapie de Keen’V, une réalisation assez improbable et pleine d’audace qu’on tiendra vraisemblablement dans quelques années comme le diamant noir d’une œuvre délibérément uptempo, solaire et généreuse, l’équivalent (à l’échelle de l’auteur) d’un Pornography ou d’un Faith pour The Cure. Malheureusement pour le Rouennais, Thérapie n’a pas fonctionné et a contribué à éloigner un public chancelant d’un musicien jusqu’ici associé strictement aux ambiances festives et à la gaudriole. Condamné à un virage serré pour reconquérir sa base, Keen’V s’est remis en question (ce qui consiste pour lui à ne plus s’en poser DU TOUT) et livre un neuvième album qui trompe les règles fondatrices de cette rubrique tant il s’avère inspiré et de qualité.

Dans le monde de la Soup Music, tout est affaire de storytelling. Un échec s’accompagne souvent d’un revirement/réajustement du discours critique qui permet de proposer/vendre l’album suivant en « prenant en compte » l’accueil réservé par le public au précédent. Qu’on appelle cela absence de conscience artistique ou l’omniprésence de la direction artistique, reniement ou tout simplement adaptation aux lois du marché, Keen’V fait le boulot en se posant en homme neuf et transformé par la crise. On le cite : « Je l’ai appelé (l’album) Rêver parce que je me suis remis à rêver. Après Thérapie, je n’avais plus de but. Mon rêve de gosse, c’était d’être chanteur et je l’étais, donc Rêver, c’est comme une remise à zéro. On recommence à zéro. Thérapie, c’était la fin de Keen’V, Keen’V est mort, vive Keen’V. » Ce gars là est un new-born artist et le pire est que ça marche. Rêver ferait passer n’importe quel disque d’Henry Salvador pour du foutu Léo Ferré, tant il regorge de good vibes et de sourires tropicaux.

Rêver est un excellent album, cohérent, bien arrangé et chanté avec beaucoup d’à propos. On retrouve le chanteur dans un registre assez classique : amoureux contrarié chantant une relation toxique sur le très bon Affaire Classée, ludion lumineux et rêveur à la Antoine sur le single impeccable Tahiti, ou en pseudo Jul sentimental sur un Ca Résonne porté par le feat canaille de DJ Florum. Keen’V chante avec beaucoup de grâce et de modulation dans la voix, contenant avec soin ses outrances sexuelles et se mettant à distance (ce qui est quelque peu dommage) de son personnage priapique de Francky Vincent blanc, figure trop clivante et risquée à l’heure de Metoo. Ses textes sont maîtrisés, simples et beaux comme du Saint John Perse pour les Nuls ou du Eluard à destination des jeunes générations. Avec Tahiti, on se tient quelque part entre Antoine et le Brel des Marquises,

Dans cet endroit merveilleux, où il n’y a pas d’hiver
Je vais en prendre plein les yeux
Dans ce paradis découvert
Oui je ferai des envieux
Dans ce petit coin de vert
Sûrement un des plus beaux lieux de l’univers
Pouvoir me baigner dans ce beau lagon
Un jour j’irai (hé hé) un jour j’irai (hé hé)
Oui au soleil tout me semblera beau
Un jour j’irai, alors viens avec moi
Un jour j’irai à Tahiti, c’est là que je vivrai ma meilleure vie x 4

Pas la peine de s’extasier sur la richesse des rimes, mais il y a une forme de sincérité dans la livraison qui émeut et confère une vraie authenticité à chacune des 17 chansons du disque. Sur T’en Va Pas, Keen’V livre une nouvelle interprétation Brelienne (variation subtile sur Ne Me Quitte Pas) qui fait mouche et lui permet de renouer avec une veine zouk soul qu’il maîtrise à la perfection. Rêver bénéficie d’un équilibre quasi parfait entre les chansons feel good, les hymnes vaguement érotiques (l’irrésistible C’est Chaud qu’on recommande sans réserve) et les chansons plus réflexives. Les arrangements sont comme toujours influencés par les rythmes exotiques mais ne dédaignent pas quelques résonances folk (le début de Je Garde le Sourire, Toi et moi), pop (le très bon Pour toi avec ses faux cuivres synthétiques) ou carrément rock (Cette voix dans ma tête qui sonne comme du Julien Doré en mieux car dénué de double fond). Ce qui fait la vraie différence avec Thérapie, c’est une positivité retrouvée et la mise en place d’une musique qui n’est jamais angoissante ou inquiétante pour l’auditeur. Keen’V affronte les tourments sans que ceux-ci ne menacent vraiment de l’emporter ou de l’entraîner dans la déprime. Cette force est son meilleur bouclier et permet à l’auditeur de lui conserver toute sa confiance.

L’une des caractéristiques de cette musique (oubliée sur le précédent disque) est qu’elle doit offrir du réconfort à l’auditeur et agir comme une protection entre lui et le monde. Il y a du Nick Drake et du Coldplay dans Pardon dont on appréciera la poésie :

Moi qui ai toujours été à tes côtés
Désormais je ne suis plus titulaire
Je ne t’en veux pas de m’avoir remplacé
Rétrogradé au rang de passé
Si pour toi cela est salutaire

Plus d’une fois pour toi j’me suis sacrifié
Et je le referais si c’était à refaire
Je sais que je n’ai rien à regretter
J’t’ai offert mes plus belles années
Mais sans rancune même si j’te perds

Il est temps de te laisser t’envoler
Te créer un nouvel univers
Tu peux quitter le nid sans regret
Oui je saurai m’en relever
Pour que de moi tu sois fière

Ce n’est pas du Baudelaire mais il y a ici une certaine qualité. Sur Quoi qu’il arrive, Keen’V fait équipe avec le Magic System pour une équipée optimiste de haut vol. Le morceau est une remarquable réussite, balancée et entraînante, intelligente et qui rivalise sans mal avec le Positive attitude de Lorie. A travers ces nouvelles chansons, Keen’V se pose comme un chanteur animé par le care, cette notion sociale d’embrassement de l’autre à des fins de protection et de soutien.

Chaque titre est soucieux d’être à l’écoute des désirs de l’autre, de proposer une parole bienveillante, de bercer et d’offrir quelque chose. Cette « mise à disposition » du chanteur, foncièrement chrétienne et qu’on sent nourrie par une vraie gentillesse, se fait parfois avec une certaine maladresse mais toujours avec une générosité dans l’intention qui permet à l’auditeur de communier avec le chanteur, de se sentir aimé et en parfaite harmonie avec celui-ci. A l’image du dernier morceau somptueux, Je serai toujours là, dont le texte est d’une pureté éblouissante, Rêver est un album littéralement adorable et qui emplit le coeur de joie.

Si tu trembles, si t’as froid, je serai toujours là
Si tu sens qu’ça n’va pas, tu pourras compter sur moi
Tes problèmes seront miens, surtout ne t’en fais pas
Je t’aime et rien ne nous séparera
Tes craintes viennent d’un manque de confiance en toi
Je comprends mais moi j’vois pas ma vie sans toi
Tes blessures du passé, je saurai les panser
Sois sûre que je n’serai jamais lassé de t’embrasser
Je suis quelqu’un d’meilleur depuis qu’j’te côtoie
Je n’vois pas ma vie avec une autre que toi
Je pourrai passer des heures à t’enlacer
Je sais que je n’en aurai jamais assez
Si un jour ça n’va pas, je t’en prie n’hésite pas
Sache que j’ne serai jamais loin de toi

On espère de tout coeur que Keen’V va retrouver le chemin du succès avec ce disque. Il est d’une justesse et d’une modestie admirables, un disque de renaissance touchant et beau comme on les aime qui fait honneur à la variété française. Grâce à lui, Keen’V devrait retrouver sa grinta et nous gratifier sur ses prochains disques de nouvelles trouvailles pleines de verve et d’humour, d’outrance et d’audace. Keen’V fait partie sans conteste des chanteurs les plus prometteurs de la scène variété française.

Tracklist
01. Affaire classée
02. Tahiti
03. Ça résonne (ft DJ Florum)
04. Bébé sois mienne
05. T’en va pas
06. Je garde le sourire
07. Pour toi
08. Toi et moi
09. Pardon
10. Je croyais
11. Quoi qu’il arrive (feat. Magic System)
12. Jalouse
13. A tes côtés
14. Cette voix dans ma tête
15. C’est chaud
16. Un seul de tes sourires
17. Je serai toujours là
Ecouter Keen'V - Rêver

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