Le mariage de la pop et de l’électro a toujours été une alliance à hauts risques, capable du pire comme du meilleur depuis son invention par New Order il y a un paquet d’années. Mariage heureux et à la grecque du côté de Sundayman pour un troisième album vigoureux, passionnant et complètement enthousiasmant baptisé Scene Missing.
Sundayman, c’est avant tout un homme seul, DJ de son état, appelé Kyriakos Moustakas. Pour une raison qu’on ignore (snobisme, fatuité française), on a toujours un peu de mal de ce côté-ci de l’Europe à prendre au sérieux la pop grecque et c’est une bêtise sans nom. Moustakas avait déjà fait des miracles sur son précédent album, Retronome, élargissant bien au delà de ses territoires naturels l’électro downtempo qui était son genre de prédilection. Volubile, charmeuse, expérimentale et en même temps fragile, la musique du Grec rappelle la poésie mélancolique des Belges de Marble Sounds, la légèreté d’un Looper, mais en faisant la part plus belle encore à l’électro et aux percussions. Aidé, sur cet album, par son bon ami George Manoloudis, un compositeur spécialisé dans les batteries et les entrechocs de genre, Sundayman livre avec Scene Missing une collection de chansons qui installe un univers électro-pop traversé de tensions krautrock, de réminiscences vintage et d’éclairs psychédéliques.
Cela démarre brillamment avec ce qui constitue pour nous le plus beau morceau de l’ensemble, l’impeccable Jupiter. L’introduction est longue et sombre et amène à une séquence chantée « à la façon de David Bowie » qui place d’emblée la barre très haute. On vise ici une forme de rock spatial où l’on se sent à la fois perdu et projeté dans un ailleurs plein d’étoiles et de paillettes amoureuses. All Is You fleure bon le rock spatial tel qu’il se pratiquait dans les années 70, tandis que Sun King parle de lui même. C’est luxuriant mais aussi douillet et délicat comme un pouf en plume de caneton.
L’instrumentation est riche et complexe qu’on parle du piano hypnotique qui occupe l’espace sur Smooth, ou de la nostalgie cadencée émanant d’un morceau comme Not Me. Sundayman nous balade entre les espace temps et les époques. Il sent bon la guimauve enfantine dans l’électropop, un brin gnangnan, de Lovers, avant de taquiner la pop organique sur Dandelion. Le single, Alive, sorti en éclaireur il y a quelques semaines, est lui-même une excellente synthèse de ce qu’on trouve ici : une efficacité aussi redoutable que soyeuse, et une impression permanente de ne pas y toucher (c’est-à-dire en langage de DJ, cette impression qu’on ne racole jamais pour faire danser quiconque). Scene missing (on ne sait pas si le nom fait référence à ça ou à autre chose) réussit au final à enfumer l’auditoire en créant, autour de nous, une ambiance à la De Palma, vaporeuse et mystérieuse, organisée autour d’un segment/chaînon manquant qui se situe hors champ mais dont la simple évocation suffit à nous faire rêver. La magie d’un Sundayman tient dans l’espace entre les notes, dans la distance entre les instruments et l’absence complète de saturation des plages qui permet à l’ensemble de respirer.
L’élégance japonisante de la pochette renforce cette impression d’un « album à clé » où quelque chose (un secret, un nu, l’amour) est tapi dans l’ombre et nous attend pour nous offrir l’hospitalité. On peut préférer d’autres musiques plus heurtées et combatives que celle de Sundayman mais il y a des moments où se lover dans un écrin aussi confortable et accueillant fait un bien fou. Scene Missing est parfait pour les longues soirées d’hiver et donne envie de faire des câlins à son clone.
Sundayman – Scene Missing
02. All Is You
03. Sun King
04. Parts of You
05. Dandelion
06. Smooth
07. Lovers
08. Not Me
09. Alive
10. The Big Old Why