Casamorga soigne son entrée en matière sombre

CasamorgaCela faisait un petit moment qu’on suivait les jeunes Casamorga d’une oreille attentive. Formé en 2013, le groupe parisien aura mis deux bonnes années à faire son apprentissage avant de passer à l’exercice du premier EP, avec un quatre titres sorti très récemment en vinyle et qui confirme les excellentes dispositions du groupe. Avec en tête de gondole, le single Chartres (choix singulier pour une entrée en matière), Casamorga qui  signifie donc « maison morte » s’exprime désormais autour de son duo originel (et original), à savoir Léo Deleuze et Maxime Caristan. Les deux garçons, très jeunes, avaient déjà contribué à quelques morceaux de l’un de nos albums chouchous de l’année, l’Astana de Viot. En duo, et épaulés par le producteur et musicien (plutôt électro) Alexandre Armengol Areny, l’une des chevilles ouvrières de cette nouvelle scène sophistiquée française et membre de Puss In Boots, Casamorga propose une chanson française qui se situe à des années lumière des sentiers commerciaux empruntés par leurs pairs.

La musique est délibérément cold, sombre et écartelée entre plusieurs pôles d’attraction : d’un côté un tropisme post-punk façon The Cure, option Trent Reznor, un brin moins articulé que la pop poétique de Viot, de l’autre, un souci extrême du mot juste qui semble renvoyer autant à Murat qu’à Manset. A l’image de ce qu’a fait Radio Elvis cette année, les textes de Casamorga sont à la fois très écrits (trop ?) et énigmatiques, renvoyant à une syntaxe sophistiquée et à des jeux d’images complexes. Là où Viot s’intéresse plus aux sonorités qu’aux références, le lexique de Casamorga est encore plus littéraire. Le résultat est un hybride assez ambigu et fleuri qui peut désarçonner car il lui manque parfois l’évidence mélodique et l’intelligibilité pop d’autres groupes, mais qui gagne de fait un charme vénéneux et une capacité de dérangement assez extraordinaire. Chartres est à cet égard un excellent exemple de ce que Casamorga peut produire de meilleur. L’ambiance est glauque, le titre heurté et oppressant mais l’atmosphère surréaliste et hypnotique. On pense à David Lynch pour la dimension cinématographique, à certains morceaux du grand Scott Walker ou à de lointains cousins domestiqués d’Einsturzende Neubauten, le tout mêlé à une vraie volonté d’aller à l’essentiel. Sur Jenny, Casamorga réussit un véritable tour de force musical qui est desservi par un texte légèrement en de-ça qui évoque la poésie noire et féminine des premiers Noir Désir. On recommandera sur cet EP, l’ampleur orchestrale d’un Lampadaires impeccable en mode Godspeed You! Black Machinchose. Anciens étudiants en musicologie, Deleuze et Caristan agissent en têtes chercheuses avec le projet probable de mettre le bazar dans les genres et, peut-être, de produire une sorte de chanson française qui serait à la fois populaire, addictive et en même temps expérimentale et radicalement novatrice. A ce stade, ce n’est pas complètement gagné (si ce n’est impossible), mais la démarche vaut d’être soutenue et encouragée tant elle nous change des facilités ambiantes.

Y a-t-il une voix pour la chanson française en eaux krautrock et darkwave ? Est-il possible d’exister en français dans ce registre ? On demande à voir et à entendre, en espérant que le groupe pourra pousser jusqu’au long format en 2017. Il n’y aura jamais assez de monde pour chanter avec intelligence la déconfiture ambiante. Il faudra compter avec Casamorga pour danser sous le déluge.

Casamorga – Chartres

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