Passés maîtres dans la composition de bandes originales de film depuis leur première contribution en 1977 à Sorcerer, le film-culte de William Friedkin, les Allemands de Tangerine Dream tombent en 1988 sur un projet qui ne paie pas de mine : composer la BO d’un film obscur et promis à un avenir douteux appelé Miracle Mile. Porté par un réalisateur, Steve de Jarnatt, dont il constituera la seule tentative cinématographique, Miracle Mile fait partie de ces projets qui traînent parfois pendant dix ans à Hollywood avant d’être financés et tournés autant par lassitude que par charité. Listé en 1983 parmi les meilleurs scénarios pas encore portés à l’écran, le script de Miracle Mile manque échoir à des réalisateurs plus côtés avant d’être pris en charge par son auteur qui caste des acteurs peu connus alors comme Anthony Edwards (Goose dans Top Gun) ou Mykelti Williamson (Forrest Gump).
Seconds couteaux pour un film qui, évidemment, est un four mais s’affirme au fil des années comme une pépite annonciatrice des grands films apocalyptiques et autres blockbusters porteurs de fin du monde qui suivront. Miracle Mile est un film qui mêle fantastique (un type intercepte par accident un appel téléphonique annonçant la fin prochaine de Los Angeles) et une romance tout ce qu’il y a de plus… romantique entre un homme et la femme de sa vie. L’action se déroule sur un jour et une nuit, et prend corps principalement dans le quartier de LA qui donne son nom au film. Harry et Julie s’y lancent dans une dérive qui non seulement évente leur secret (l’imminence d’une attaque nucléaire), déclenche une panique générale mais (SPOILER) les amènera à une mort certaine. Le film repose sur une unique question : Harry est-il en train de se faire un film ? Le monde va-t-il s’achever ce soir comme il le pense ?
Film-culte pour une BO qui ne l’est pas moins et s’avère une brillante réussite pour un groupe qui se réduit alors à un duo, Edgar Froese et Paul Haslinger. Après de nombreux changements de line-up, Tangerine Dream est à la recherche d’une formule nouvelle qui viendra quelques mois plus tard avec l’intégration (désastreuse) d’un saxophone à leur groupe. Pour l’heure, le groupe est nucléaire lui-même, restreint et cela lui va bien. La BO prolonge les travaux du groupe dans le domaine des synthétiseurs, mais épouse surtout parfaitement la complexité de ton du film, alternant des morceaux flippants et expérimentaux et des balades au romantisme gluant qui rappellent les meilleures séquences des Tangerine Dream composées pour… Risky Business quelques années auparavant. Froese à la programmation et Haslinger au piano et aux instruments se complètent à merveille, signant une BO qui se hisse aisément au rang des meilleures créations du groupe et s’impose comme un trait d’union entre différentes périodes musicales du groupe.
La BO de Miracle Mile s’appuie autant sur des lignes de synthé que sur le piano envoûtant de Haslinger, lequel est souvent encapsulé dans des arrangements orchestraux brillants et qui donnent une solennité épique aux déambulations de Harry. Miracle Mile est typiquement un film qui perdrait 50% de son efficacité et de son attrait sans sa musique. C’est elle qui fait exister les enjeux du film et donne à ses images parfois à la limite du comique une densité et une profondeur exceptionnelles. In Julie’s Eyes est un morceau de 3 minutes qui est beau à pleurer. L’ouverture Teetering Scales est anxiogène et un témoin parfait de l’angoisse nucléaire. One for The Books fait écho aux composition de Tangerine Dream pour William Friedkin (The Sorcerer) avec ses lignes de piano rapprochées. La variété est ici de mise avec des séquences orchestrales comme On The Spur of The Moment et d’autres plus radicales et expérimentales comme le terrifiant People In The News, le morceau le plus novateur. Les douze pièces qui composent cette BO renvoient à une maîtrise impressionnante par le groupe des codes narratifs et musicaux. Chaque note est pensée et contextualisée pour souligner avec intelligence qui traverse le film. Miracle Mile peut toutefois s’écouter comme un récit musical passionnant si on ne connaît pas le film ce qui témoigne de son immense qualité.
BO appliquée et qui colle à son sujet, inventive et transgenre entre psychédélique et musique d’anticipation, Miracle Mile est aussi curieuse que le film qu’elle illustre. Elle constitue une parenthèse enchantée dans l’histoire assez tumultueuse d’un groupe à la diversité inégale. Tangerine Dream est souvent sous-estimé par rapport à ses pairs (qu’il s’agisse de Kraftwerk sur sa face allemande ou de Vangelis sur le champ des BO). Ce Miracle Mile suffit à lui seul à montrer qu’il faut les prendre au sérieux et considérer leurs meilleurs travaux comme des objets d’étude et de passion à part entière.