Tapeworms / Funtastic
[Cranes Records / Howlin Banana Records / Coypu Records]

8.3 Note de l'auteur
8.3

Tapeworms - FuntasticC’est bien naturel : il vous est sans doute déjà arrivé de vous demander ce que vous auriez fait si vous aviez eu 20 ans un peu plus tôt à l’époque des mods, des hippies ou des punks, ou peut-être même un peu plus tard, ce qui est au passage un chouette exercice de style qui aide à faire un peu moins le vieux con. Pas de quoi en faire un plat, à condition bien sûr de ne pas rester bloqué sur cette idée que c’était mieux avant afin de pouvoir évoluer et vivre pleinement avec son temps. Les trois lillois de Tapeworms n’étaient pas nés quand la vague noisy pop a déferlé sur nos jeunesses en quête de sens, lorsque nous nous laissâmes emporter par ces tourbillons chaloupés, assourdir par des murs du son que même les métalleux n’osaient pas franchir, envouter par ces voix hypnotiques et monocordes qui semblaient planer bien haut, charmer par ces chansons souvent très mélodiques qui donnaient corps à tout ce vacarme. Un genre mineur, un peu décrié, raillé par les mêmes qui l’avaient porté au pinacle, se moquant en substance du peu de charisme rock de ses figures de proues incapables de faire face au public, les yeux rivés sur leurs godasses, entre concentration du musicien peu virtuose et vraie timidité. Faire du bruit, mais sans faire de bruit, tranquille, dans son coin jusqu’au moment de se faire dépasser par un succès devenu planétaire puis destructeur pour les plus emblématiques, les My Bloody Valentine, Ride ou Slowdive. Un genre mineur, vraiment ? 30 ans après, de come-backs probants en héritiers inspirés, cette noisy-pop n’a jamais vraiment cessé d’exister et de fasciner les générations successives.

Comme d’autres ont en leur temps fouillé dans les archives de la pop pour retirer des Byrds, des Beatles ou de Burt Bacharach leur substantifique moëlle, Margot, Eliott et Théo ont aussi dû passer du temps à écumer les discothèques familières et les cartons de grenier, se replonger dans de vieux Melody Maker, des compiles cassettes pour écouter dans la voiture sur la route des concerts et de vieilles photos papier au camping du festival de Reading. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont su en retirer eux aussi toute l’essence. Quoiqu’il s’agisse d’une progression somme toute assez classique, il est curieux de voir à quel point on peut calquer leur cheminement sur celui de leurs ainés. Deux premiers ep (cassette et digital) entre 2016 et 2018, All Stars et Everything Will Be Fine, qui, outre leur aspect immédiatement réussi et jouissif, laissaient entrevoir un vrai potentiel qui ne demandait qu’à s’exprimer avec plus d’expérience sur plus de durée, un peu à la manière donc des premiers essais de Ride, Moose ou Chapterhouse. Leur noisy-pop était académique, très influencée, mais un vrai talent d’écriture et quelques petits indices faisaient déjà de Tapeworms un groupe à suivre. Aujourd’hui que sort Funtastic, co-produit par les franciliens Howlin Banana et Cranes et l’italien Coypu, on mesure effectivement à quel point on pouvait raisonnablement espérer.

Déjà, Tapeworms ne vit pas dans les années 1990. Tant mieux car on peut leur assurer que ça n’était déjà pas toujours folichon à bien des points de vue. Le trio de tous jeunes gens est bien ancré dans son époque et ses codes, mélanges d’influences de pop cultures très diverses, du hip hop au gaming en passant la fascination que vouent nombre d’ados et de jeunes adultes à la culture nippone, à travers les mangas et l’animation en particulier. Bien que n’étant pas à l’abri des premiers emmerdements de vie d’adulte (on évoque des pertes de proches, des changements pas toujours choisis), le trio se forge une carapace colorée et joyeuse, insouciante. Funtastic se présente donc comme le condensé des évolutions musicales et personnelles de ces dernières années. Finie le shoegaze à papa, celui des deux premiers ep. Bien sûr, on en trouve encore des traces comme sur ce Crush Your Love lourd et sonique à la manière des Boo Radleys d’Everything’s Allright Forever mais déjà, un nouveau Tapeworms apparait, plus nuancé, plus subtil : ici, une fin toute en descente à coup de guitare acoustique et de clavier, de la même façon que Martin Carr avait vite compris que les vu-mètres tout à droite, ça n’irait qu’un temps. Sur le premier single Safety Crash ou le hit introductif Next Time (Maybe), l’électronique prend une toute autre dimension. La chevauchée est noisy, vitaminée mais aussi lumineuse et passionnante à explorer. Grand témoin de cette évolution, le rentre-dedans Tapes Worms de 2016 est devenu le plus complexe Tapeworms avec son intro free, son rythme ralenti et son nuancier électronique qui use (et abuse peut-être pour le coup) d’une large palette de la même façon que le morceau d’origine semblait tester toutes les pédales d’effet du rack.

Lumière et couleur sont les évidents fils conducteurs de cet album. Même lorsque le temps est lourd et le ciel plombé comme sur Round and Round, claviers aériens, guitare acoustique et même une série de scratchs montrant que le groupe ne s’interdit plus rien viennent éclaircir le morceau. Il se fait rêveur et nous entraine dans une jolie déambulation mélancolique sur Soba alors que Dog Concern les montre en tenant d’une pop sophistiquée et classieuse, un peu à la Memoryhouse. Mieux, Tapeworms brûle les étapes et déjà, montre des évolutions sommitales que d’autres ont mis des albums à atteindre.

Le trio se présente alors en vieux briscard de la pop éblouissante où le bruit n’est plus qu’une lointaine caresse, dans la lignée directe de Rocketship ou des estoniens de Pia Fraus en offrant avec Palm Reading et surtout Alternate Ending, deux petites merveilles de pop noisy où la mélodie cavale toute seule et nous derrière en dodelinant de la tête, sourire béat aux lèvres.

A l’image de l’étonnante pochette lenticulaire de Funtastic créant l’illusion d’une image animée, Tapeworm s’affirme comme un groupe en mouvement, chargé d’influences diverses qu’il parvient à digérer sans doute un peu mieux que la moyenne. Un grand bond en avant dans le monde de la nuance qui lui permet de conserver une tête d’avance sur d’autres groupes de sa génération. Présenté comme un groupe à suivre, repéré par les bonnes personnes, un tant soit peu influentes, le trio lillois a su répondre aux attentes placées en lui, ce qui est parfois une gageure difficile à atteindre mais qui, cela fait, place aussi la barre bien haut pour un second album qui sera à coup sûr tout aussi attendu, sinon plus. Pas de crainte, ciseau ou fosbury-flop, Tapeworms a gardé la clé du gymnase pour s’entrainer à la passer et retomber, plein de vie et d’énergie, sur les gros tapis colorés.

Tracklist
01. Next Time (Maybe)
02. Safety Crash
03. Dog Concern
04. Soba
05. Crush Your Love
06. Smilling Through It All
07. Palm Reading
08. Tapeworms
09. Round And Round
10. Alternate Ending
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