Le temps du changement aurait-il sonné ? Weather Diaries, le précédent album de Ride, était un bon album, enlevé, inspiré et (trop) respectueux de l’héritage patrimonial du groupe-phare de la génération shoegaze. This Is Not A Safe Place marque une vraie tentative de réinvention (plutôt réussie) qui tend à prouver que le temps ne s’est jamais arrêté pour les quatre oxfordiens.
On entre dans cet album par un étrange prologue instrumental, R.I.D.E, qui est porté par la batterie magique de Loz Colbert et les guitares à ailes du quatuor. Ces premières trois minutes donnent le sentiment qu’on ouvre une porte fantastique sur une autre époque. Le tunnel est long, un brin ennuyeux, mais débouche sur le lumineux Future Love, morceau dont on a déjà parlé et qui sonne comme du Ride pur sucre, un brin naïf pour l’époque. Le son est clair, le titre très mélodique et léger comme le vent. Le texte est faible mais en parfaite résonance avec la ritournelle très Byrdsienne. « Can I see you every day ? Do you love me like I Love you ?/ Ah, you’ve got me going. Yeah, you’ve got me going. » Alors qu’on s’apprêtait à s’engager peinards sur l’autoroute de l’amour, Repetition vient perturber notre rêverie. Est-ce qu’un plaisantin en a profité pour fourrer un vieux disque de Wire dans notre chaîne, pendant qu’on songeait à notre premier amour ? Il semble que non. Après quinze écoutes, on n’est pas certain que le titre soit remarquable mais il a le mérite de secouer le cocotier. La vie n’est pas un long fleuve tranquille et les Ride n’ont pas choisi de ne pas travailler à la Sécu pour rien. Kill Switch durcit le ton et cela fonctionne parfaitement. « I Wanna kill your sound, make the right noise. Hit the kill switch », rugit le tigre qui est dans le moteur. La chanson manque de caractère mais fait son effet. Il en reste et il y en aura encore. L’enchaînement avec Clouds of Saint Marie nous fait passer du chaud au froid mais nous rappelle comment Ride faisait ça avec aisance par le passé. C’était ça l’idée de départ : électrifier un cœur en guimauve, rendre la puissance éternelle aux bons sentiments. Clouds of Saint Marie est une horreur mais qu’on adore parce qu’on la chantonne en quelques secondes comme si on se retrouvait soudain en séjour linguistique ou dans un camp de boyscouts pour quadras attardés des années 90.
Gardener enchaîne sur une des scies sentimentales dont il a le secret. Eternal Recurrence est un sommet du genre. C’est dégoulinant de mélancolie mais d’une telle pureté éblouissante qu’on en revient au point de départ : cet instant adolescent où on écoutait cela pour la première fois. Impossible de faire plus lent, le morceau ressemble à une chute de studio de Disintegration jouée par un groupe sous tranquillisants. Mais on plane et on plane toujours plus haut. Le goût nous joue des tours. On se retourne dans un spa de nuages. « Sinking is easy/ Only clouds in the mirror/ Feeling uneasy/Don’t look again. .. The light always wins over pain/ Broken time may never mend/ But love will win in the end. » C’est exactement ça : il faut croire à cette victoire finale de l’amour et s’y abandonner malgré tout. Ride a toujours eu raison d’espérer et le prouve en signant avec 15 Minutes, son meilleur titre d’entre les douze et sans conteste depuis son retour il y a cinq ans. On parlait il y a peu de Projekt A-ko ou de Urusei Yatsura. Il aura fallu trente ans à Ride pour aller chercher et trouver le second degré et la déconstruction. Andy Bell n’a jamais sonné si juste. La seconde moitié de l’album est épatante. Jump Set qui suit est excellent, puissant et aérien. Le son et le texte renvoient à l’époque Nowhere. Il s’agit de prendre la poudre d’escampette et de disparaître parce qu’on est au centre du jeu et de l’attention. Etre connu ou pas. Avoir un visage ou jouer en baissant la tête. Ride réaffirme sa position avec constance et fidélité. « This is life on the outside. The machine is on our side. As it was, as it’s in the beginning, it’s becoming self aware/ And we’re fading away. » Est-ce à dire que le groupe va disparaître à nouveau ? On peut s’interroger. Il faut s’arrêter de jouer à l’instant même où on devient sûr de gagner. Dial Up sonne comme du Big Star anglais. Le dernier album de la première période des Ride s’était approché de ce son-là et ce n’est pas mal du tout.
End Game est une chanson magnifique et qui regarde en arrière. On est au cœur du prodige adolescent, au cœur du cœur de la mélancolie, celui de l’homme qui contemple ses amours passées. « I thought that we had something », répète Gardener en mantra. La somme des vies manquées est ce qui nous constitue. Pas celle qu’on a vécu. « I thought that we had something. » On nage à reculons. On boit le bouillon arrière avec Shadows Behind the Sun. Gardener avait composé un album solo dans ce genre-là, quasi réactionnaire et mou du genou mais divin à sa manière. On peut y trouver son compte. La mélodie est soyeuse et la voix est rassurante. This Is Not A Safe Place. On peut tout de même s’accorder quelques instants de réconfort, prendre un verre avec nos propres fantômes, nos ombres portées et fuir le poids de nos réussites. Il faut bien les 8 minutes de In This Room pour terminer le boulot. Quel morceau ! Gardener réussit à mettre à nu tout ce qui s’est passé depuis 30 ans. Ride se retourne et nous invite à en faire de même. Il faut arrêter de regarder le monde depuis la caverne animée du passé. Sortir de la grotte. Les choses sont encore plus tristes si on les regarde avec les yeux d’aujourd’hui et pas ceux d’hier. Ride a prolongé The Cure. Ride a expliqué My Bloody Valentine, consolé Slowdive. In This Room est un monument d’intelligence et de lucidité. La mélodie vocale ressemble au So Slow de Sophia. La chambre est à la fois une loge d’artiste planétaire, une chambre d’amoureux et une chambre funéraire. La chambre de Morrissey, celle de Brian Wilson. On croise des groupies, d’autres stars, des requins d’affaire, l’ado qu’on a été. La chambre est la vie. C’est là que naît la pop et là qu’elle agonise. Gardener signe avec cette chanson l’un de ses plus belles contributions à l’histoire du groupe. Morceau paisible et morceau-somme, In This Room conclut avec un certain panache le second volet conquérant d’un retour gagnant.
This Is Not A Safe Place est à l’image de Ride : il a ses faiblesses, ses temps mièvres et ses imperfections mais c’est un remarquable effort pour vivre une seconde vie, pour respirer l’air frais, aller de l’avant et poursuivre les quelques rêves qui restent à atteindre. Ride fait penser au mythe d’Orphée. Des types qui n’ont pas le droit de se retourner mais qui ne font que penser à ce qu’il y a derrière. A leur manière, ils progressent vers quelque chose qui nous échappe.
02. Future Love
03. Repetition
04. Kill Switch
05. Clouds of Saint Marie
06. Eternal Recurrence
07. 15 Minutes
08. Jump Jet
09. Dial Up
10. End Game
11. Shadows Behind the Sun
12. In This Room
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