[Chanson Culte #17] – Lazarus : quand The Boo Radleys envisageaient la pop du futur

Lazarus EP - The Boo RadleysJusqu’alors, le Boo Radley restait un animal sauvage mais domptable : dans une lignée shoegaze, le groupe, avec Ichabod and I (Action Records – 1990), misait sur le tourbillon électrique, l’empilement de guitares, la voix noyée sous les réverbérations, tout en prenant soin d’offrir quelques mélodies assez imparables. Difficile pourtant, en 90, de ne pas voir en Martin Carr (compositeur en chef) et Sice (chanteur) autre chose qu’une légère brume. Revirement complet, deux ans plus tard, avec une signature chez Creation Records et un nouvel album aux contours plus fluides et à l’armature kinksienne en diable (Everything’s Alright Forever). Les Boo Radleys, quoi que soudainement très classiques, se délivrent de la protection bruitiste pour enregistrer des chansons parfois zarbies mais dans une tradition pop finalement respectueuse. Doués, trop modestes : les Boo refusent de se lâcher, ils possèdent un pied dans le passé, l’autre solidement arrimé au présent. Quid du futur ?

Que s’est-il donc passé dans le bouillonnant cerveau de Martin Carr pour que celui-ci, du jour au lendemain, se permette l’architecture Eiffel de Lazarus ? Annonciateur d’un troisième album (le bien nommé Giant Steps), ce titre, qui sort en 92, reste une anomalie, un choc sismique, une expérience de laborantins mélomanes qui défigurent le joli classicisme d’Everything’s Alright. À vrai dire, en 2017, Lazarus s’explique encore difficilement : du shoegaze avec des trompettes ? Un faux reggae gorgé d’intonations pop (« papapapa ») ? Un besoin de briser les carcans et de n’en faire qu’à sa tête ? Sauf que chez Martin Carr, découvrons-nous à ce moment-là, pousser la pop dans des retranchements inédits ne veut surtout pas dire verser dans l’hermétisme : avant d’être un single conçu par des barjots, Lazarus est une chanson incroyable, un volcan aux coulées de lave engendrant une frénésie diabolique chez l’auditeur.

Martin Carr dévoile son véritable visage : loin d’un passéiste sincère, le compositeur des Boo se révèle être un surdoué en train d’écrire une page importante de la musique anglaise. Certains, face à Lazarus puis l’album Giant Steps, décrivent le génie de Martin dans une formule dorénavant emblématique : les Boo « Beatles 2000 » Radleys. On ne saurait mieux dire.

L’anomalie Lazarus est probablement à chercher dans la ville originelle de Martin et Sice : Wallasey, banlieue liverpuldienne qu’entoure le Mersey. Liverpool sans vraiment l’être, en somme. Et, de la même façon, la généalogie Lennon / McCartney pourrait s’accepter à condition d’envisager les Boo Radleys comme des Beatles déviants, nomades (malades ?). Lazarus est ainsi une chanson qui possède le battement cardiaque d’une pop song en or, mais son traitement relève de la déformation, de l’exagération, voire du défi : Martin entend clairement repousser les limites qu’il se fixait auparavant, il veut faire un « pas de géant ».

Lorsque Giant Steps sort en 93, l’uppercut laisse pantois. Telle une réponse inconsciente à Loveless (également sur Creation Records), sorti deux années plus tôt, l’album est un rollercoaster de dix-sept titres, un looping qui fracasse les murs et sidère tout autant par son outrance que sa propension à ne se fixer aucun paravent. De groupe un brin étriqué, les Boo atteignent ici l’éternité (le magazine Select, le NME et les lecteurs des Inrocks en font leur disque de l’année).

Évidemment, après un classique instantané, la question se pose : comment faire mieux ? Comment ne pas trahir l’avancée logique d’une formation largement au-dessus de la mêlée ? Facile, répondent les Boo : en choisissant, ad vitam aeternam, la voie du contre-pied.

Actualité oblige, si nous appliquions une consanguinité lynchienne avec les albums des Boo, Giant Steps serait leur Mulholland Drive, Wake Up! (le disque suivant) un proche cousin d’Elephant Man (tendre et monstrueux à la fois), C’mon Kids un concentré de rage similaire à Wild at Heart, puis Kingsize (l’adieu aux fans) un périple gorgé d’inquiétantes étrangetés façon Blue Velvet. Cela pour dire que les Boo Radleys jamais ne déçurent leur public de supporters. En fait, à partir de Lazarus, Martin Carr ne connaissait qu’un seul mot d’ordre : l’excellence reconduite.

D’où le déchirement que provoqua l’annonce d’une séparation (en 99) : pourquoi, pourquoi donc le meilleur groupe de l’époque choisissait-il de tirer sa révérence ? Hypothèses légitimes : la fameuse poisse liverpuldienne, un manque de reconnaissance commerciale (hormis le single Wake Up Boo!, aucun titre des Boo n’a cassé la baraque), une image trop plouc face aux tenues recommandées (frime et belles gueules à la Gallagher et Albarn).

2014. Après son projet Brave Captain, Martin Carr revient sous son propre nom avec l’album The Break (sur Tapete Records). Dix chansons issues de la facette pop de Martin, celle de Wish I Was Skinny ou Towards the Light. Dix merveilles qui rassurent au moins sur un point : le Boo en chef sera toujours présent pour ensoleiller une pop contemporaine souvent trop cynique pour dorénavant nous convaincre. Vite, Martin, la suite !

Crédit photo : Discogs.

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The Boo Radleys / Eight

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