Pour plusieurs générations, Thalassa aura été le Très Chasse des noctambules qui se couchent tôt, des non-fêtards, des plan-plan et des rêveurs. Quand d’aucuns se figeaient dans le canapé, entre la soupe à l’oignon et le malaise, pour suivre des scènes de chasse en Sologne, d’autres se rassemblaient en soirée pour voyager au gré des flots, arpenter les Océans et (au fil des années) découvrir le monde des bords de mer, français, européens ou exotiques. Il y avait une sérénité dans les approches, un amour de la nature et une attention aux épopées humaines du quotidien qui ne trompaient pas le chaland, dégageant un sentiment d’humanisme qui assura sûrement le succès de l’émission et qui se retrouvait, incarné, dans la figure bonhomme et bienveillante de Georges Pernoud, dont on apprend la disparition aujourd’hui à l’âge de 73 ans.
L’occasion est belle (et ne se représentera plus vraisemblablement) de dire un petit mot des génériques de l’émission et de rappeler que la magie de Thalassa reposait aussi, jusqu’en 2010 au moins, sur le générique splendide et avant-gardiste composé par le musicien français Guy Pedersen. L’image en morphing avancé qui l’accompagne est signée d’un autre créateur avant-gardiste Gérard Martinelli. Martinelli utilise pour le générique de Thalassa une technique d’illustration à effet psychédélique qu’il portera à la quasi perfection sur le générique de l’émission hippique Cavalcade. Mais les quelques notes proposées par Pedersen sont elles aussi mémorables. Pedersen vient du jazz. Il accompagne notamment le brésilien Baden Powell, puis Jean-Christian Michel, grande figure oubliée aujourd’hui du rapprochement entre jazz et musique classique (et lointain père spirituel dégénéré de André Rieu). Dans les années 60, Pedersen tourne moins et écrit beaucoup. Il joue en studio, accompagne et devient un compositeur réputé pour l’image, cinéma, films courts et génériques. C’est dans ce cadre (il se retirera à la fin des années 70 suite à des ennuis cardiaques pour devenir antiquaire) qu’il signe le générique de Thalassa, dont la première diffusion date de 1975.
Le motif composé par Pedersen est magique : simple, évocateur, onirique mais aussi addictif et hypnotique. Couplé à l’illustration de Martinelli, il situe l’émission dans une sorte de futur fantasmé où la mer deviendrait (un jour) l’avenir de l’homme, soit vingt ans avant la Blue Economy de Gunther Pauli une source d’aventure mais aussi de vie économique et spirituelle. C’est en signant ces quelques dizaines de secondes proto-électro et ambient que Pedersen ouvre les shakras des téléspectateurs et les aide à se propulser dans l’émission alors réellement fascinante de Pernoud. Avec le temps, le côté pionnier de Thalassa se perdra un peu pour incarner une forme de traditionalisme moins hype, mais le présentateur savait encore en faire autre chose qu’une simple émission de voyages. Résistant à la mode Ushuaïa and co, Pernoud avait ancré l’émission dans une forme de proximité qui était admirable et hors du temps. Le générique originel avait fait l’objet de plusieurs toilettages plus ou moins réussis sur la même base pour finalement être remplacé autour de 2010-2012 par une création plus contemporaine et passe-partout, nettement orientée vers l’évasion et la sphère du new-age.
Thalassa passait ainsi d’une volonté d’ouverture psychédélique vers demain à un statut différent d’émission culturelle aquatique et presque archaïque. L’électro de Pedersen laissait la place à une musique synthétique générique et purement illustrative, dénuée de qualité poétique. Les temps changent et pas pour le meilleur. En 2019, l’émission mensuelle est abandonnée et Thalassa réimaginée/mort née dans d’autres formats, alors même qu’avec le mouvement Seasteading et la Blue Economy, la menace climatique et le contexte épidémique, l’alternative bleue est plus que jamais d’actualité.
C’est une bien triste nouvelle : on ne devrait plus mourir à cet âge. Ce qui l’est d’autant plus est la relative discrétion dans laquelle son décès a été annoncé, et les hommages discrets qui ont suivi, et qui n’étaient pas à la hauteur du gaillard. Un peu comme si cette émission, qui faisait un véritable pari sur l’intelligence du spectateur, était vieillote, appartenant à un autre monde (même si j’étais content qu’un Cyril Hanouna, coqueluche des jeunes, ait manifesté contre la suspension de l’émission à l’époque, et qu’il lui ait consacré plus de 10 minutes de marque d’estime). Je dois dire que cela m’a un peu peiné pour le reste. Car cette émission m’a permis des voyages cathodiques dans des contrées hautement exotiques qui auraient été impossibles sans. Mais plus encore, cette émission avait un caractère détonnant qui est le suivant : elle est l’une des seules à avoir soulever le bouleversement climatique dont fait l’objet notre chère petite planète, sur une tonalité à hauteur d’hommes, sans pathos ni caractère excessivement anxiogène. Je suis persuadé que la communication alarmiste faite par des organismes onusiens comme le GIEC, les COP, ou même celle dont les médias mainstream se font l’écho, est contre-productive, et incite à des comportements (et c’est compréhensible) de l’autruche face à l’urgence.
L’émission de Pernoud permettait, elle, de poser un regard confiant, humble et plein de bonhommie, et d’aborder de manière décomplexée, sans pathos inutile, le problème climatique (à partir de 2004) – entre autres. Je crains d’ailleurs qu’avec ce foutu Covid, celui-ci soit relégué en 2nd division (un peu comme entre 2008 et 2014, suite à la crise financière). Thalassa était une manière de nuancer cela : jamais elle n’aura été aussi indispensable aujourd’hui. Thalassa était aussi une manière de rappeler nos DOM-TOM… si souvent délaissées et oubliées par nos médias.
Et que dire du générique de Pedersen, qui était vraiment au diapason du ton de l’émission, calme et doux, empli d’une sincère gentillesse envers notre perle bleue. Légèrement désuet, certes, mais c’était tout son charme contrairement à celui désincarné qui lui succèda. Un autre thème musical qui m’a marqué, c’était celui du Téléshopping sur TF1, composé par Philippe Chatel, et sa fameuse animation l’accompagnant (dans les années 2000 en tout cas). Je crois que le même gimmick sonore l’illustre toujours, bien que modernisé : au moins, l’héritage musical perdure.