Qu’est-ce qui fait qu’on trouve ce Rogue Monsters II encore meilleur que le premier, Rogue Monsters, sorti en 2019 ? Des qualités du premier opus, on retrouve le côté foutraque et la profusion stylistique qui fait tout le charme additionné de Senbeï et Al’Tarba. C’est peu dire que ces albums collaboratifs ne se contentent pas d’additionner leurs qualités naturelles mais les multiplient : plus vite, plus d’impact, plus lourd souvent et une inventivité qui donne le sentiment qu’on surfe, durant ses 46 minutes de musique, directement sur une coulée de lave, qu’on chevauche sur le dos d’un pur-sang au galop, ou qu’on a dîné trois soirs de suite avec Joël Guerriau. C’est ce qui frappe ici tout du long : la vivacité, le côté remuant, cette idée qu’on se confronte à du pur mouvement, de la pure énergie transformée en beats, en séquences, en boucles et en chansons. Car des morceaux, en bonne et due forme, il y en a un paquet ici comme l’ouverture The King’s Head, magistrale, puissante et tout en crescendo héroïque, ou encore un Monsters old school qui convoque le rappeur de Brooklyn Bekay pour une prestation XXL et super efficace. Give & Take, le final, est une offrande électro-punk à la hauteur d’un tel disque : tapageuse et monumentale. Rogue Monsters II n’est pas, comme on pourrait le penser, un disque de beatmakers mais un album de musique contemporaine, une sorte de saga opératique qui survole les genres (rock, punk, hip-hop, electro…) pour les dépasser et en magnifier l’impact et le fun à un niveau rarement atteint.
Ce qui caractérise ce Rogue Monsters II, par rapport au premier, c’est peut-être bien une intensité et une fluidité supérieures. Les enchaînements dessinent, à défaut d’un parcours véritable ou d’une narration suivie, une continuité épatante et irrésistible. Wanna Be Bad est un morceau extraordinaire qui démarre comme du Senbeï période Smokey Joe and The Kid, joueur et rétro, avant d’être contaminé par le pouvoir destroy d’un Al’Tarba qui relâchera son étreinte sur le final. Tourner la Page est une tuerie enfantine et pop à l’audace incroyable avec ses choeurs de gosses et sa narration en français. On pense ici moins à des travaux hip-hop qu’aux expérimentations et aux collages d’un Brian Wilson pour Smile. C’est dire à quel niveau d’ambition on se situe.
Rogue Monsters II sent le plaisir, le jeu, la fantaisie à tous les étages. C’est burlesque, parfaitement maîtrisé et d’une liberté totale (Interlude II, conte oï des mille et une nuits), en plus d’être musicalement brillantissime. Back Again n’aurait rien à faire sur un disque de hip-hop alternatif mais il est là, furieux et bouillant comme un single de Frustration, fondu au scratch sur un Not Ready sucré, délicieux et soul, sublimé par le chant magique de l’extraordinaire Bella Blair, la fille la plus sexy de Jamaïque. On retrouvera cette magie jazz soul sur le magnifique Nameless Man un peu plus loin.
L’album tient toutes ses promesses qui plus est sur l’ensemble de ses 13 titres. Il n’y a pas un temps faible ou un morceau de remplissage : tout est nécessité et plus explosif qu’un feu d’artifices. L’électro crépite sur Strain City pour amener à un Mauvais Sang habité par un Swift Guad impérial. On monte, on danse, on se balance sur le côté comme dans un grand 8 aux sensations vertigineuses.
Senbeï & Al’Tarba signent avec Rogue Monsters II, un album remarquable d’intelligence, plus fun et jouissif qu’aucun autre, et sans aucun doute l’une des créations contemporaines les plus abouties de l’année en cours.
02. Dum Dum
03. Monsters
04. Wanna Be Bad
05. Tourner la Page
06. Interlude Part 2
07. Back Again
08. Not Ready
09. Sun Prayers
10. Strain City
11. Mauvais Sang
12. Nameless Man
13. Give & Take
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