Flyying Colours / You Never Know
[Club AC30 / Poison City Records]

8.5 Note de l'Auteur
8.5

Flyying Colours - You Never KnowLe chroniqueur en herbe a bien des soucis. Tenez, par exemple : comment évoquer l’arrivée de You Never Know, troisième album des australiens de Flyying Colours, à peine deux ans presque tout pile après Fantasy Country ? Sur le papier, on ne fait pas plus académique rayon noisy pop et si on s’attelait à raconter à l’époque que le quatuor n’entendait pas révolutionner quoique ce soit, pas plus que sur son premier album, on peut facilement imaginer que ce troisième effort si vite enchainé ne devrait pas beaucoup faire bouger les lignes. Alors si on vous avait convaincu d’aller jeter une oreille et que le SAV de SBO n’a reçu aucune plainte, sans doute n’aura-t-on pas trop de difficulté à vous inciter à y retourner. A l’inverse, déçus ou peu convaincus, trouver les mots pour vous expliquer que cette fois c’est la bonne relève d’une sacrée gageure. A bien des égards, il suffirait de reprendre la chronique de 2021 et d’en changer les titres évoqués : on y verrait que du feu et cela sonnerait aussi juste. Alors, disque jumeau ? Petit frère plutôt. Les parents sont les mêmes, ils ont juste un peu vieilli, ont les traits tirés par les nuits écourtées, les repas sur le pouce et les gestes maintes fois répétés des tournées qui les voient régulièrement traverser la planète pour à la fois s’affranchir d’une Australie enthousiaste mais trop limitée mais aussi contenter les attentes d’un public shoegaze qui sévit encore massivement de ce côté-ci de la planète.

You Never Know a, sans surprise, tout l’ADN de ses ainés et sans doute aussi en aura-t-il la destinée besogneuse, celle des disques que l’on adore à leur sortie, sincèrement, sans le moindre calcul, mais qui seront implacablement remplacés par le suivant, voire même par un proche cousin revenu entre-temps saluer la famille. Sur le moment, rien n’est à jeter et le disque exécute à merveille son œuvre de divertissement mais le cerveau humain est ainsi fait qu’il ne retient que ce qui est véritablement inoubliable. Bien sûr, chacun se construit son histoire et son propre rapport aux œuvres; ce disque sera alors, pour une raison ou une autre, importantissime pour une poignée de fans inconditionnels qui l’associeront à un moment de vie, une émotion, un lieu particulier, mais pour le reste…

Pour autant, l’histoire est toujours la même et se répète de chroniques en chroniques comme elle se répète de disques en disques : il n’a jamais été question de la refaire. La vie, cette succession d’instants présents est largement composée de moments au pire pénibles, le plus souvent insignifiants et automatiques puis, parfois, tout simplement brillants. Livres, films, peintures ou disques sont à son image et il faut pour apprécier ces moments exceptionnels savoir composer avec ce qui l’est moins. Ces œuvres moyennes ne sont ni anodines, ni dépourvues d’intérêt. Elles permettent la mise en perspective de celles qui s’avéreront meilleures : plus audacieuses, mieux écrites et composées, mieux enregistrées, mieux interprétées, elles ne peuvent se révéler qu’à travers une comparaison qui ne dit pas toujours son nom avec une sorte de socle minimal constitué par le commun des albums.

Nous-mêmes, dans nos petits travers futiles, pourrions-nous élaborer un « top 10 annuel » sans les 10, 20, 50, 100 autres albums écoutés dans l’année ? Pourtant, il ne viendrait à l’idée de personne de tout rejeter en bloc et de ne garder que ces 10 dont certains, tous peut-être, ne résisteraient pas à leur tour à la sélection de la décennie et encore moins à celle de toute une vie. You Never Know peinera à pointer son nez au sommet des charts annuels, à moins que la suite de 2023 ne soit musicalement cataclysmique. Pour autant, comment résister au plaisir immédiat, sincère et enchanteur que procure cet album ? Comment ne pas remarquer les tentatives de faire évoluer le son en y incluant un peu plus de claviers ? Comment ne pas saluer, pour la troisième fois consécutive, la grande qualité d’ensemble d’un album, certes on ne peut plus académique, mais correspondant à la note près à ce que chaque fan du genre se sent en droit d’attendre ? Dans sa démarche Flyying Colours coche toutes les cases et décoche un paquet de flèches qui parviennent sans peine au cœur de la cible.

En tête de convoi, les locomotives Lost Then Found, I Live In A Small Town et Do You Feel The Same? tiennent sans sourciller leur rôle de tubes XL, cavalcades menées plein gaz aux refrains tonitruants portés par des duos vocaux parfaitement posés ; c’est redoutable, net et sans bavure. Intercalé dans ce groupe de tête, Long Distance est la dernière trace des références un peu plus psychédéliques qui prévalaient sur Fantasy Country. On se laisse absorber par ces ambiances tournoyantes qui nous ramènent à L’Epée, cette passionnante collaboration entre Anton Newcombe (The Brian Jonestown Massacre) et The Limiñanas sortie en 2019. Les chaloupés Bright Lights et Modern Dreams offrent une vision apaisée, presque romantique et un peu sombre de ce que les australiens peuvent produire. Ils sont de lointains cousins de cette époque où The Cure sur certains morceaux de Wish donnait, avec allant, l’impression de ne pas se laisser distancer par la jeune garde incarnée par le Ride de Going Blank Again ou même les inoffensifs Chapterhouse. Enfin, c’est sur Oh, long interlude muet pour générique audiovisuel dans lequel c’est finalement un gimmick 100% synthétique qui emporte l’adhésion ou sur Goodbye To Music, le premier single extrait du disque, tentative pas vraiment convaincante de sonner FM dans le secret espoir de montrer que l’on maitrise le vieux grimoire de la réussite, celui aux pages un peu moisies, que Flyying Colours tente clairement des choses un peu nouvelles à base de claviers, ce qui est en soi, déjà louable.

Seul le temps décidera de la véritable trace que laissera You Never Know dans les discothèques ; on ne sait jamais, ça c’est bien vrai. Il rejoindra probablement ses ainés Mindfullness et Fantasy Country au rayon de ces disques honnêtes et sincères que l’on ré-écoutera chaque fois avec grand plaisir, mais de façon toujours plus espacée. En attendant, il aura été, et sera encore pour quelques temps, le compagnon séduisant de jolis moments printaniers, empreints d’une douce lumière un peu mélancolique, quand les odeurs et les couleurs réveillent des sens endormis ; ce disque que l’on joue fort fenêtres enfin ré-ouvertes qui fait comprendre aux voisins que l’hibernation a pris fin. A bien y réfléchir, c’est déjà une destinée que bien d’autres n’atteindront jamais.

Tracklist
01. Lost Then Found
02. Long Distance
03. I Live In A Small Town
04. Do You Feel The Same?
05. Oh
06. Bright Lights
07. Hit The Road
08. Goodbye To Music
09. Modern Dreams
10. Never Forget
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