On retrouve dans ce onzième ou douzième album des High Llamas, le premier depuis 2016, les qualités qui ont fait la renommée du groupe de Sean O’Hagan : la référence pour les travaux des Beach Boys, la science des arrangements, la préciosité mélodique et la précision pop. Mais celles-ci se trouvent transposées dans un cadre de production « moderne », voix autotunées et usage de filtres, ce qui peut clairement heurter l’oreille, déconcerter les fans des Irlandais et globalement dérouter. C’est en tout cas ce choix radical qui concentre toute l’expérience d’écoute, comme si, sur chaque titre et chaque note, on en revenait pas tout à fait.
En interview, O’Hagan a exposé de quelle manière cette « orientation », d’abord technique, s’était imposée à lui et dans quelle mesure il en avait fait un élément nouveau pour vivifier et renouveler son approche. Le dernier disque du groupe, Here Comes The Rattling Trees, avait du reste essuyé quelques accusations (injustifiées) en ultra-classicisme ou du moins, en radotage. Trop vite rangé parmi les disques « en pilotage automatique », il recelait pourtant quelques unes des plus belles compositions des High Llamas. Il faudra sans doute laisser reposer Hey Panda quelques mois avant de se faire un avis définitif. On est d’abord séduit par l’approche du groupe et vraiment enchanté par la singularité des premiers morceaux. Le morceau titre à l’ouverture est bref, élégant, amusant et intrigant. O’Hagan expose son animal totem autour d’une ménagerie de sons qui fait écho (évidemment et toujours) au Pet Sounds de Brian Wilson. Les paroles sont gentiment surréalistes et charmantes :
Hey panda, my best
The carrots look fresh
The crack of the bite
Could shatter the night
The crack of the bite
renvoyant une image de fragilité et de sophistication, tout à fait en phase avec l’animal. Fall Off The Mountain et surtout Bade Amey, les deux titres suivants, sont très bons, lents, mélancoliques et appliqués. On se dit que O’Hagan est en train de trouver une voix originale en mêlant voix de femme et la sienne, et en réduisant l’accompagnement au minimum. Les effets jouent en sa faveur et renvoient peu ou prou aux sons que produisent les Flaming Lips depuis 25 ans quand ils sont dans un bon jour. Les meilleurs morceaux du disque lorgnent d’ailleurs dans cette direction. Mais, malheureusement, cela se gâte quand les bidouillages contemporains l’emportent sur le reste et viennent marquer un peu trop fortement les chansons. Les effets de voix (Rae Morris en featuring) sur la seconde partie de Sisters Friends sont difficiles à supporter et on aura ce même mouvement de recul sur les deux titres sur lesquels les High Llamas reçoivent la visite de Bonnie Prince Billy. How The Best Was Won est un désastre certes expérimental mais désastre tout de même, lent et poussif, dont on peine à discerner les contours mélodiques. Sans doute est-ce qu’on est trop conservateur pour faire l’effort de discerner en quoi la chose est intéressante mais on aura pas passé le cap, restant à la porte de cet exercice d’apprenti sorcier. Notre écoute ne se détache alors plus de ces échos et de ces filtres et perd peu à peu le fil de ce qu’elle avait pu trouver sympa ici. On se détourne, on éprouve littéralement de la répulsion pour un écrin sonore qui, selon nous, emporte tout. On ne supporte pas plus The Grade que le easy listening sans intérêt de Yoga Goat. Quelques morceaux surnagent comme Stone Cold Slow, habile, psychédélique et bucolique, porté par un piano aérien et poétique, ou le magistral Toriafan (sur lequel on retrouve l’élégance « sur le fil » des premiers morceaux) mais on peine à se dégager de l’impression générale. The Water Moves se tient entre les deux mondes : celui d’un univers sonore honni et immédiatement repoussant et celui d’une pop gracile et lumineuse. A l’image du disque entier, il divise, attire à lui avant de nous faire fuir.
On peut reconnaître qu’il y a sans doute quelque chose à faire de tout ça, une forme de beauté nouvelle qui émerge de ce travail de bouturage mais aussi se contenter de rejeter la proposition par pure opposition à ce formalisme qu’on dénonce partout ailleurs. On peut écouter Hey Panda une fois ou deux pour l’exercice et en saisir les qualités mais aussi choisir de ne pas y revenir ou de faire l’impasse sur ses manifestations de modernité les plus… marquées et horribles.
02. Fall Off The Mountain
03. Bade Amey
04. Sister Friends feat. Rae Morris
05. How The Best Was Won feat. Bonnie Prince Billy
06. The Grade
07. Yoga Goat
08. Stone Cold Snow
09. Toriafan
10. Hungriest Man feat. Bonnie Prince Billy
11. The Water Moves
12. La Masse feat. Fryars
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