On a presque toujours tort d’aller en boîte de nuit. Y passer tout un album….autant dire que c’est une situation dont on se serait bien passé, même en plein été. C’est pourtant le « concept » ou du moins l’idée directrice qui est venue aux filles de Girl Ray pour leur troisième album, Prestige. On ne sait pas trop qui de Poppy Hankin, Iris McConnell ou Sophie Moss a suggéré aux deux autres que ce serait une sacrée affaire que de composer un album qui raconterait, tout du long, et en une douzaine de titres, ce qui se passe quand on sort. On ne sait pas qui a encouragé qui et de quelle manière cette proposition a résisté suffisamment aux assauts des unes et des autres pour servir de socle à cet album 100% disco, tourné vers le fun et le titre de Reine de la Nuit. Mais c’était assurément une idiotie.
On avait plutôt accroché au premier album des Londoniennes, Earl Grey, dont on avait fait l’un des fers de lance du renouveau pop british porté par les jeunes de la classe moyenne. Notre intuition avait été en partie déjouée par un Girl, leur deuxième essai, qui poussait trop loin la tentation RnB. Prestige est un disque d’autant plus frustrant par les options qu’il prend qu’on entend sur chaque pièce les qualités du groupe à trousser des mélodies et à rendre compte de ce qu’est être une jeune anglaise de 23 ou 24 ans. Ce n’est pas l’exécution qui est en cause : le chant de Poppy Hankin à plat, toujours aussi laidback et sexy est au poil et les arrangements sont parfaitement mis en place. C’est le genre qui pêche. On connaît la tendance actuelle qui consiste à tout enrober dans un nuage disco pour donner aux gens l’impression que la musique a du relief et que notre vie a du lustre. Do just like Abba. C’est la devise qui plombe les deux tiers de la chanson française de Clara Luciani à Juliette Armanet, et le mouvement auquel cède notre trio de filles. Cela donne des chansons sympathiques, avenantes, entraînantes parfois et artificiellement cadencées, mais qui ennuient et surtout ne résistent pas à deux écoutes successives.
On entre dans Prestige par une intro qui nous mène littéralement aux portes de la boîte. True Love se tient sur le seuil, avec sa basse gros sabots et ses guitares à la Chic qu’on voit partout désormais. C’est un peu comme peindre sa salle à manger en taupe côté décoration intérieure : c’est un désastre et quelque chose qui finit par devenir insupportable. Comme Up démarre exactement de la même manière, on se demande si tout cela va finir par commencer un jour. Les textes sont relativement peu intéressants :
New love
But it’s true love
I can feel it when you’re holding me
It feels unreal
That you’d choose me as your one and only
Tell me, baby
Safe in your arms
Am I worthy of your charms?
I don’t know
Safe in your arms
Am I worthy of your charms?
I don’t know
Et renvoient immanquablement à cette idée un peu conne de trouver un prince charmant (true love, amour tout différent et tout le toutim)… dans une boîte de nuit. Everybody’s Saying That ressemble à une face B de Dua Lipa et on s’enfonce titre après titre dans une bouillie séduisante à l’oreille, mainstream et sans aucun intérêt. L’ensemble n’est évidemment pas si mal fait mais il faut se faire violent pour aller au bout d’un Love Is Enough qui est moins bon que n’importe quel single de Nilüfer Yanya. Cette soirée en boîte est un calvaire comme si on passait son temps à errer sans but, sans aucune excitation véritable, tentation ou envie d’expérimenter.
A l’heure de #MeToo, la vision des femmes n’en sort pas grandie : la chanteuse passe son temps à réclamer un baiser de plus et à se situer en attente d’un signe de tendresse ou d’attention de son compagnon fantasmé. Si c’est ça le progrès… Sur l’affreux Begging You Now, on y est, à la mendicité :
Take apart the stillness of the morning
Can you bottle it and let me drink?
‘Cause the nights are closing in so fast now
And I can’t remember how to think
Well, you know I got jealous fevers
But I hate to make you feel like this
I’ve been asking for forgiveness lately
All I needed was another kiss
Il est sûrement très bien que les femmes puissent réclamer cette position de modestie face à l’amour mais on préférait encore quand elles essayaient de ruer dans les brancards. Space Song fait de l’amant un demi-dieu. Et on ne peut plus rien pour le disque, ni pour le groupe. Ce vieux fantasme années 80 sent le sapin des Landes. Un dernier tour de piste sur Give Me Your Love et ses voix vocodées à la Daft Punk : on prend ses cliques et ses claques, ramasse notre blouson en daim au vestiaire et file dans la nuit avec l’idée de s’enfiler une soupe à l’oignon en regardant un documentaire sur Arte.
La prochaine fois, on espère qu’elles iront au cinéma.