Peter Doherty & Frédéric Lo / The Fantasy Life of Poetry & Crime
[Virgin Records]

5 Note de l'auteur
5

Peter Doherty & Frédéric Lo - The Fantasy Life Of Poetry & CrimeOn peut se réjouir sincèrement de la relative bonne santé de Peter Doherty et ne pas forcément tomber en pâmoison devant cette Fantasy Life of Poetry & Crime. Avec tous les excès que cela comporte, on a toujours été plus intéressés par la folle liberté qui se dégageait de Peter Doherty, son côté foutraque, incontrôlable et sa poésie fougueuse que par son personnage de poète romantique wildien et d’animateur de feux de camp. La tenue de ses textes a rarement approché celle des maîtres pop anglais que sont Morrissey, Paul Weller, Ian Mc Culloch ou encore Brett Anderson. Doherty a toujours oeuvré, selon nous, un cran en dessous sur ce plan, même si sa fougue musicale, son jeu de guitare et son investissement émotionnel ont amené les Libertines sur leurs meilleurs moments et les Babyshambles à des sommets ponctuels mais qui comptent parmi les plus mémorables du début des années 2000.

L’accueil réservé à ce disque, projet proposé par le Français Frédéric Lo, auteur ici de l’intégralité des musiques, a été faussé par cette idée selon laquelle l’Anglais, désormais  à peu près clean et implanté à Etretat, avait une mue à accomplir et devait se réinventer pour gagner en authenticité. Lo, qui a travaillé par le passé avec Daniel Darc, Bill Pritchard, mais aussi Chamfort ou Cali, a d’abord sollicité l’Anglais dans le cadre d’un disque hommage à Darc, justement, pour une série de reprises. De fil en aiguille, la relation s’est étoffée et Lo a fait écouter à Doherty des musiques qu’il avait réservées au chanteur français. Aidés par le confinement, les deux hommes se sont enfermés volontairement en Normandie pour enregistrer et finaliser un album de circonstance, réunissant leurs compétences. A Frédéric Lo les mélodies soignées, inoffensives et les arrangements somptueux. A Doherty, l’écriture, le chant et la mise en avant d’un univers mêlant le folklore poétique fin de siècle de la France et de l’Angleterre. Entre Byron, Baudelaire et Arsène Lupin, les gangsters et les mélodies au ralenti, The Fantasy Life of Poetry & Crime est un album appliqué, soyeux et ennuyeux au possible.

Doherty chante dans un registre gnangnan et littéraire qui lasse dans la durée par trop d’application. La scansion est parfaite et la récitation mise en scène de manière presque trop scolaire comme s’il s’agissait de présenter un exercice  de fin d’année devant les professeurs de pop music. Le chanteur des Libertines profite de l’espace qui lui est donné dans des chansons très aérées et aux motifs peu envahissants, pour déclamer une poésie à la prononciation exemplaire et aux intentions excellentes. Qu’il parle d’une chose ou d’une autre, la texture est soyeuse, comme datée et foncièrement passéiste. On peut difficilement ne pas reconnaître les qualités mélodiques et d’arrangements de Lo, sur The Epidemiologist par exemple, chanson ponctuée par un name dropping branché et qui donne à la décadence ses lettres de notabilité. Mais l’exercice par delà sa joliesse ne mène nulle part. The Ballad of démarre comme un vrai faux titre de Divine Comedy, élégant et facile, avant de courir après un crescendo britpop qui lorgne sur le son du Dog Man Star de Suede. Le résultat est pompeux, pompier et éreintant. « On the esplanade.… » chante assez mal un Doherty en roue libre, comme s’il n’en finissait plus de se balader. Le disque s’ébroue dans un registre plus riant et magnifique décalque des Babyshambles avec le chouette single, You Cant Keep It From Me Forever, qui, par delà le clin d’oeil à l’addiction passée et future de Doherty, constitue le morceau le plus consistant du lot.

Malheureusement ce titre reste l’un des rares motifs de satisfaction d’un disque qui s’enlise ensuite dans ses tics de composition faussement chics. Yes I Wear A Mask est faussement signifiant et réussit à paraître trois fois plus long qu’il n’est. La boursouflure et le cabotinage étouffent un Rock n’ Roll Alchemy qui démarrait bien tandis qu’on traverse un tunnel de pièces faussement affectées où les cordes ne parviennent pas à maquiller la faiblesse globale du dispositif. Il n’y a pas un immense intérêt à présenter Doherty dans ce registre précieux et sophistiqué sur toute la durée d’un album. Son chant n’est pas suffisamment solide. Sa fragilité est trop apparente et ses textes pas suffisamment passionnants pour qu’on le présente ainsi à nu. Les cordes et les arrangements tentent de donner une contenance noble à un ensemble qui au final se noie plus qu’il ne s’élève. On écrit cela paradoxalement avec beaucoup d’affection et de respect pour la tentative mais les morceaux sur lesquels Doherty réussit à renouer avec la grâce maladroite et bravache qu’il déployait dans les Libertines sont ici trop peu nombreux. Dans sa récente biographie, le chanteur s’étonnait de l’échec qu’avait rencontré un peu partout le film Confession d’un enfant du siècle, tourné avec Sylvie Verheyde en 2012 où il tenait la tête d’affiche avec Charlotte Gainsbourg. On en retrouve les ressorts dans ce disque avec Frédéric Lo. Tout ici ou presque relève du fantasme, de l’artificialité. Celle-ci a beau être le premier principe de l’art selon Wilde, elle peut aussi sonner comme un pur exercice de style et avoir l’attrait du chiqué et du toc. Peut-on croire Doherty qui chante fleurette sur Keeping Me On File, alors que ce même type signait il y a quelques années un joyau moderne tel que What Katie Did ? Abe Wassenstein est à la fois trop et pas assez folk. Doherty n’est ni Nick Drake, ni John Martyn, et on est probablement plus dans les années 70. Certains de ses morceaux auraient sûrement fait merveille pour ponctuer (d’émotion) un album bouillant et vibrant comme Doherty a su les composer. Alignés ici, ils ne font que suggérer une sorte de déconnexion rassurante mais qui n’a plus rien à voir avec le rock, un projet véritable ou une intention.

L’effort est aussi vain qu’il est louable.

Tracklist
01. The Fantasy Life of Poetry & Crime
02. The Epidemiologist
03. The Ballad of
04. You Cant Keep It From Me Forever
05. Yes I Wear A Mask
06. Rock n Roll Alchemy
07. The Monster
08. Invictus
09. The Glassblower
10. Keeping Me On File
11. Abe Wassenstein
12. Far From The Madding Crowd
Écouter Peter Doherty & Frédéric Lo - The Fantasy Life of Poetry & Crime

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