Cela démarre par quelques pas sur un sol forestier, battus et cadencés, et puis par le bruit d’une fermeture éclair qu’on ouvre et qu’on referme : Youri Defrance, accompagné d’un public choisi, pénètre dans le Wigwam (une tente), implantée dans les Monts Pilat et qu’il a assemblée de ses mains pour un live unique en son genre et qu’on a la chance de pouvoir écouter moins d’un mois après la cérémonie elle-même. On ne sait toujours pas dans quelle catégorie ranger la musique du jazzman, bluesman, world artist Français. Son précédent disque, Blue Water, live in Slovenia, proposé l’an dernier à la même époque, nous en présentait toutes les dimensions créatives. Celui-ci reflète en 50 minutes tout de même la face la plus expérimentale, improvisée et sacrée d’un artiste qui fait surtout figure d’homme libre et de chercheur de sons suffisamment stimulants pour ouvrir des portes et des fenêtres vers soi, la nature et le monde entier. Hadean, le premier morceau, est interprété par Youri Defrance à la guitare. C’est un morceau à la simplicité apparente, qui marque par ses motifs tournants et répétés. On entend parfois à l’arrière-plan le chant d’un shaman sibérien ou celle de l’artiste, gutturale et venue de loin. La guitare obsède, finit par sonner comme si elle était un instrument de percussions, tandis que le temps file, fluide et fugace comme de l’eau. Il s’agit bien entendu de musique expérimentale, de temps volés et dérobés à la vitesse contemporaine. Youri Defrance joue comme il respire, traversant l’espace à la vitesse du loup. A compter de la neuvième minute, on quitte les plaines glacées pour une virée dans l’Ouest américain. La guitare devient banjo. On ne sait pas si Youri Defrance est dans le camp des indiens ou dans celui des cow-boys, son blues n’a pas de patrie. Il n’a qu’un maître, haut, là-haut dans le ciel, mais aussi assis autour de nous. Il est l’harmonica et le souffle, le feu et la respiration animale. Le saxo d’Arnaud Desnoyers entre en scène pour les six dernières minutes. Il agit comme un accélérateur de particules ou une machine à voyager dans le temps : Defrance nous propulse dans les années 30 puis plus loin, les années 70. Paysage urbain. Club de jazz. Fumée. Brouillard. Le pouvoir de suggestion de cette musique est remarquable. Les lignes de forces de la musique américaine se trahissent : le rock se trémousse avec le blues qui féconde le jazz et les musiques du delta. Memphis, c’est là que les doigts ont tout appris sans y être jamais allés.
Le second morceau est impressionnant et porte bien son nom. Snake Blue Moon. On ne sait pas au juste ce que cela désigne dans la mythologie personnelle de l’artiste, faite d’ères du loup, de pleines lunes et de rendez-vous magiques avec les animaux sacrés, mais la pièce est la plus impressionnante séquence de guitare qu’on ait entendue depuis des lustres. Psychédélique et électrique, acoustique et boisée, elle ondule comme un reptile à la lumière de l’astre nocturne. On voit voler les phalènes tout autour, les étincelles crépitent et crachent dans la nuit. On pense comme à chaque fois à un Jim Morrison qui serait passé inaperçu, à un Robert Johnson caché d’un mari jaloux et qui ferait ses gammes dans un buisson épineux. Youri Defrance n’a pas d’âge, pas de patrie. Il est le son débridé et libre. Le son qui s’oublie et s’écoute sans y penser. La guitare est sauvage puis caressante. Elle interroge et répond aux questions. A mi-chemin, une séquence folk est lumineuse. On a le sentiment de déboucher dans une clairière, de voir la lumière en face. L’environnement est fait de fougères et de mousses. De petits animaux s’ébrouent dans le wigwam de toile. On se sent comme Sylvain et Sylvette, perdus dans la Chaumière éternelle, et à jamais inséparables. La dernière partie de la plage est plus rock. Elle rebondit d’accord en accord tandis que Youri Defrance se prend pour Mick Jagger, oublié dans un after mexicain. Il tortille du cul parmi les créatures insalubres remontées des enfers. La musique devient adulte et irresponsable. Le sax reprend la main et rappelle à tout le monde qu’il s’agissait d’un mirage, que tout ceci n’avait que l’apparence de la vérité.
Avec ce nouvel album, Youri Defrance confirme l’unicité de son talent et la stupéfiante virtuosité de son jeu de guitares. L’œuvre est aussi unique que les endroits et les moments où elle se donne. C’est à la fois un privilège et une petite déception à l’écoute que de ne pouvoir recevoir le message que sous cette forme, enregistrée et congelée, depuis l’événement lui-même. Le site de l’artiste devrait annoncer prochainement d’autres rendez-vous musicaux, d’autres occasions de prendre la chose de plein fouet et de toucher la lune.
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Youri Defrance sur le sentier de la plume
GOOD ON YOU Benjamin ! the title « Snake Blue Moon » completely jostled me in my confinement, I felt the wilderness invade me! I’m going to go into the Bush !
Greetings from Blue Mountains (New South Wales)
Uuuuu so fascinating
Touching sensually my breath
Great connection with the root of passion
Quelques pas dans la neige. Entrez dans le Wigwam. Asseyez-vous. Autour de vous, le vide et l’espace, emplis de musique. Ecoutez… Voix, riffs de guitare, saxo et déjà, les images défilent une à une, sur la toile, rythmées. Quelque part, entre ciel et terre, un soir de pleine lune.
Exactly this. As if you were present 🙂 Spirited experience high up (1300 m altitude) in the Pilat mountain, music tuning in with the crossing of ancient lines, in the snowy night before the full moon of the 9th of March, close by above us like a halo sun against the dark blue. The wind outside waxing and waning along the sounds of guitar, somewhere along the second and third track voices erupting like a vulcano (dixit Kevin), circling to the center of the Wigwam creating interferences with the second world. Dreamtime, wake up, acupuncture of Earth – let’s go !
Glad I was able to witness, record and mix this experience, and make it possible to listen for the outer public. This is the possibility of having a nice taste of what the Wigwam could give to people, and I strongly advice to witness it live! Really good review by the way! The Wolf path will continue.
A la lecture de cet article je me suis retrouvé à nouveau dans le wigwam, on croirait que l’auteur faisait partie du public avec nous. De superbes connexions sur un site puissant, la restitution audio est d’une qualité folle !!! Merci Alessandro ! J’a retrouvé l’ambiance volcanique ancestrale tournoyante du wigwam. Ce set de Youri restera unique pour moi, comme tous les autres d’ailleurs. Cet article m’a fait du bien, belle plume l’auteur.
Happy birthday Wolf ! Gotta let it go !
très bel article merci beaucoup
wigwam, une brèche dans l’espace-temps que peu s’autorise