Tout de Suite / Parce que je ne croyais plus à l’amour
[Atypeek Music]

7.7 Note de l'auteur
7.7

Tout de Suite - Parce que je ne croyais plus à l’amourOn a beau avoir parlé de leurs singles à l’unité, découvrir enfin l’album du duo électro-dingo Tout de Suite donne une toute autre ampleur à leur projet humoristico-porno. Les singles laissaient penser à un mélange érotique d’Enya et de Fauve, à la mode années 80 revisitée. A cette échelle gargantuesque (16 morceaux), Parce que je ne croyais plus à l’amour est plutôt un monstre fascinant, aberrant et remarquable, à qui l’on ne connaît pas d’équivalent depuis les essais punk féministes des années 70.

Tout ici est dédié au cul. On n’y croyait pas d’abord mais si : le couple et l’amour sont au cœur du dispositif qui mêle expérimentations électroniques, chansons provocantes et techno à l’ancienne. Cela démarre en fanfare avec Baise-Moi, lyrique et minimaliste, puis le surréaliste Sodomie. « Je suis en apesanteur quand tu prends mon petit derrière./ Je suis perdu en haute mer quand tu prends mon petit derrière», chante la miss, à qui le chanteur répond « En pleine forêt vierge, ma panthère, je suis ton braconnier. » Les Tout de Suite ont une capacité à interpréter ces textes crus et abrupts sans que cela sonne faux. On sent l’amour à plein nez sur le chouette Bouzin, chanson amusante sur la fidélité, comme on retrouve avec plaisir des échos de Kate Bush sur Gardnerella Vaginalis.

Il faut dire la vérité : on ne sait pas toujours où on habite. Te rencontrer n’est pas extraordinaire mais Bout d’étoffe, miniature fétichiste qui évoque Adjani ou Birkin, est un morceau splendide, délicat et émouvant. La musique de Tout de Suite est joueuse, amoureuse et adulte. L’évocation de ce qui fait vivre le couple (le frottement, le cul, l’attention à l’autre) est souvent plus subtile qu’elle en a l’air. Elle a surtout l’honnêteté de ne pas surjouer le romantisme et de se moquer des appétits sommaires qui nous gouvernent. On a l’impression que le groupe aborde les chansons comme un couple s’amuserait à monter des plans et des scénarios pour entretenir la passion et doper sa sexualité. Verge est une pochade à la Apollinaire (le poète oui), comme écrite par un couple d’étudiants en lettres, ivres morts. « Verge. Désinfectant mieux qu’un savon, je m’abandonne tel un chaton. Plus tu es grosse, plus tu m’enivres. ». Meilleur coup est un monument, sonorisé comme une track Rnb, intelligent et grossier. Musicalement, les Tout de Suite sont prêts à tout pour refourguer leurs thèmes de prédilection. Ils collent, ils assemblent, ils triturent. J’aime baise est un atroce collage, créolo-punk. La musique n’a aucune importance, ce sont les mots qui priment, ce sont eux qu’on entend et qui restent et écrasent tout. Un piano, un séquenceur, un sample : tout y passe mais le verbe est roi, seul à même de déclencher l’émotion et le désir.

Je ne croyais plus à l’amour est un grand disque malade et romantique comme une fille rencontrée en boîte et qu’on épouserait le lendemain. Il faut écouter Je Secrète qui est plus beau et précieux que tous les faux duos érotiques composés (et chantés) par Gainsbourg. Sur Cancer, la maladie gagne jusqu’à emporter le désir et les souvenirs. « Cancer, cancer, tu as brisé ma vie. Voilà tout est fini. Maintenant que j’ai mal, il ne peut plus me toucher.» C’est à la fois ridicule et d’une belle justesse, jusque dans l’électro distordue qui suggère la maladie et la mort. Tout de Suite repart encore plus fort après cet instant de suspension avec un Vierge en rupture de ton et qui manque nous donner une indigestion. L’obsession érotique à l’œuvre ici est extraordinaire et sans aucune limite. Partouze en est comme le couronnement sauvage et maboule. Les cuivres débarquent. Des cors qui s’ajoutent aux beats et aux influences kraut pour décrire la folle perte de contrôle du sexe à plusieurs. La musique de Tout de Suite devient un opéra-bouffe où l’on gobe des bites et des culs en série. La sensation est étrange : étourdie et irréelle. Le final électro-trash, Love Me, nous ramène en terrain connu, punk et divergent. Essorés.

Tout de Suite est un rouleau compresseur, poétique et sans aucune limite. Cet album est sadien, punk et sexuellement régressif. C’est un album de série Z taillé pour la baise et l’extase, expérimental et unique. La grammaire musicale est variée, inspirée et maîtrisée avec beaucoup d’humour, l’ensemble asservi au propos transgressif avec la rigueur et la détermination propres aux malades mentaux. Le groupe signe un chef d’œuvre contemporain de l’obscène et du bizarre. Un de ces disques qu’on retrouvera dans quinze ans (sans presque jamais l’avoir réécouté) en sachant qu’il racontait une part de nous, longue, raide et désirante.

Tracklist
01. Baise-Moi
02. Sodomie
03. Bouzin
04. Gardnerella Vaginalis
05. Te Rencontrer
06. Bout d’étoffe
07. Verge
08. Meilleur coup
09. J’aime Baise
10. Je sécrète
11. Machin Machin
12. Cancer
13. Vierge
14. Partouze
15. Poème
16. Love Me
Ecouter Tout de Suite - Parce que je ne croyais plus à l’amour

Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Clip (IA) du mois : I Feel Good d’Agoria change la donne
On ne va pas mentir : on aurait décerné le titre de...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *