Les Pet Shop Boys? It’s psychological!
(part 1)

Pet Shop Boys

La bizarrerie des Pet Shop Boys réside dans l’unisson entre deux individus assez opposés : d’un côté, Chris Lowe, festif nocturne fan des Bee Gees, serveur dans les discothèques de Blackpool ; de l’autre, Neil Tennant, journaliste à Smash Hits, féru de musique classique, jamais vraiment remis des boules à zéro infligées durant sa scolarité à Newcastle. Pourtant, au finish, une complémentarité façon Lennon / McCartney, Morrissey / Marr. À une différence essentielle : l’absence de clash et de parcours solo – si bien que les PSB peuvent aujourd’hui fêter 35 ans de carrière et treize albums studios !

Les Pet Shop Boys? It’s psychological! - Part 2

Filles et garçons

À leurs débuts, Chris et Neil détiennent une vision théorique de la musique : la chanson importe moins que la position de pop star, un disque ne vaut rien sans deux ou trois tubes universels et une prestation à Top of The Pops. Très marqué par le cataclysme Blue Monday, et conscient de l’identification qu’offre alors le premier album des Smiths sur une jeunesse anglaise qui ne se retrouve plus dans les paillettes new wave, le duo mitonne le parfait hold-up : de la disco, certes, mais avec une profondeur, une ironie acerbe, des mots aussi revanchards que drolatiques. Pour corser l’ambiguïté, les PSB laissent sous-entendre qu’ils ne sont qu’un produit marketing : le titre Opportunities (Let’s Make Lots of Money) s’articulant autour d’un très distancié « You’ve got the look / I’ve got the brain / Let’s make lots of money ». En gros, à ce stade, les Pet Shop Boys ressemblent à une version pince-sans-rire de Soft Cell, à un croisement brechtien entre New Order et Morrissey. Difficile à clairement situer, donc.

Les premiers titres du groupe ne rencontrent pas le succès escompté. Sauf que la paire détient, de manière encore confidentielle, un imparable atout : une chanson nommée West End Girls, que l’Angleterre ignore mais que les Etats-Unis (pays bien plus disco que New Romantic) commence à diffuser avec dévotion. La déferlante PSB commence là : ce titre, entre le chanté et le parlé, maussade et boudeur (sur la vidéo, les deux comparses tirent une gueule d’enterrement), envahit, par un effet boule de neige, les transistors du monde entier. On ne sait pas d’où proviennent les Pet Shop Boys (fins stratèges opportunistes ? Petite mode d’un instant ? Songwriters ou bien coup de bluff labélisé ?), qu’importe : West End Girls est un hymne entêtant, mystérieux et… populaire.

Sur leurs trois premiers albums (Please, Actually et Introspective), entre 86 et 88, les Pet Shop Boys se soucient peu de cohérence globale. L’important n’est pas l’unité du disque mais la succession de hits. Et de ce point de vue, les standards s’accumulent jusqu’au vertige : Suburbia, It’s a Sin, Rent, Domino Dancing, Left To My Own Devices ; sans même parler de I’m Not Scared, écrit pour le groupe de Patsy Kensit (Eighth Wonder), une ritournelle hypnotique que les PSB reprendront sur Introspective. (Le duo aime en effet collaborer avec des chanteuses féminines puisque, outre l’ex de Jim Kerr, les Shopettes enregistrent avec Dusty Springfield, Liza Minnelli, Kylie Minogue – et Elton John.)

Exceptionnels mélodistes, paroliers d’envergure, trois mouvements en avance sur les sonorités électroniques (Stephen Hague produit Please en 86, avant de s’associer, l’année suivante, à New Order pour le single True Faith)… Manque simplement aux Pet Shop Boys un disque qui s’imposerait en tant que classique absolu, un disque dont la forme s’accorderait au fond.

Spleen et idéal

En 1990, le quatrième PSB surprend les apôtres du rock indé (loin des grattes Sonic Youth, loin de l’ombrageux New Order, il est possible de faire chialer avec un synthé et une boite à rythmes). Behaviour est une collection de chansons délicatement intimistes, ciselées avec un sens du détail et une tristesse sous-jacente qui l’imposent d’emblée comme un sommet d’électro-pop mélancolique. Bien plus que des faiseurs commerciaux, les Pet Shop Boys, en dix joyaux parfaitement assemblés, saisissent l’air de l’époque : le Sida, la mort des utopies révolutionnaires, les amis qui décèdent, la solitude du romantique blessé… Chef-d’œuvre des Pet Shop Boys, Behaviour, loin des tendances du moment (le baggy sound, l’acid house), annonce, dans une veine synthétiquement mortuaire, la désillusion des imminents compositeurs grunge. En sus, Behaviour comporte l’une des plus belles chansons de tous les temps : My October Symphony (à ranger à la même enseigne que Bachelor Kisses des Go-Betweens, Penelope Tree de Felt ou I Know It’s Over des Smiths).

Manière de consolider l’importance des PSB, Bernard Sumner et Johnny Marr, en pleine écriture du premier Electronic, convoquent Lowe et Tennant à la composition de deux morceaux. Les ex NO et Smiths sauvent ainsi les meubles : Getting Away With It et The Patience Of A Saint s’affirment comme les uniques réussites d’un ratage embarrassant.

Dorénavant incontournables, les PSB, pour l’album suivant, optent pour un virage à 180° : Behaviour était souple, proche de l’auditeur ; Very, lui, s’avance criard, hyper coloré, parodique et festif. Si la reprise de Go West s’apparente à une faute de goût, et si l’ambiance du disque tire volontiers sur la corde extravertie (les paroles de Neil, elles-mêmes, s’éloignent du trop intime), Very n’est pas avare en sommets : difficile, par exemple, d’oublier l’intrusion surprise de Lady Diana chez la famille Tennant pour boire un thé (somptueux Dreaming Of The Queen)… Very prouve également que les PSB, en jouant la carte mascarade (chapeaux pointus, costumes extraterrestres), ne dénotent guère en pleine période In Utero : le disque est un grand bol d’air frais qui revigore le moral (ce qui, après l’endeuillé Behaviour, est aussi fascinant qu’étrange).

Musiciens parmi les plus vendeurs et acclamés, Lowe et Tennant choisissent de clôturer une première étape de leur parcours en sortant Alternative, plantureux double CD regroupant l’ensemble des Faces B enregistrées depuis Please – la compilation Discography reste hors- concours car, bien que celle-ci permette d’aujourd’hui posséder des réappropriations telles que l’affreux Where The Streets Have No Name de U2 (un groupe que Neil déteste) ici croisé avec Can’t Take My Eyes Off You, il ne s’agit que d’un best of. Alternative, inversement, permet de tendre l’oreille face à certains morceaux que n’aurait pas renié New Order en guise de singles (In The Night, That’s My Impression, You Know Where You Went Wrong).

Célibat et discothèque

En 1996, avec Bilingual, les Pet Shop Boys jonglent à nouveau avec le contre-pied. Cette fois-ci, l’électronique se drape de rythmiques latinos et tire vers la trance. Visuellement, conscients d’avoir été jusqu’au bout du délire costumé (avec Very), Chris et Neil choisissent une sobriété proche de l’absence (pochette jaune, photos intérieures montrant le groupe sous un jour quotidien). Et si l’écoute initiale laisse dubitatif, il apparaît bien vite que ce nouvel album s’amourache sur la longueur. Car non seulement les PSB refusent la formule éconduite, mais Neil Tennant, dans ses mots, s’y dévoile comme jamais : loin d’observer le monde, il se place (à la première personne du singulier) au cœur du sujet. Disque empreint de spleen dans lequel le chanteur-parolier raconte sa solitude en plein hôtel VIP (Discoteca), espère recevoir une lettre d’amour (Red Letter Day), aimerait tromper les soirées maussades dans une discothèque introuvable (« Hay una discoteca por acqui ? »). Neil, semble-t-il, est très célèbre mais aussi très célibataire (« I’m single bilingual »). Poignant.

Que faire après avoir creusé la question de l’intimité, du storytelling, de la provocation comme du lien social ? Nightlife, septième PSB, n’en sait trop rien. En 99, le groupe donne l’impression de se renouveler par obligation, par subterfuges et grosses ficelles. Déjà, les arrangements de Craig Armstrong font redites (le compositeur révélant une flemmardise l’incitant à surexploiter chaque trouvaille de son album The Space Between Us) ; et puis l’alliage cordes / techno ne passe pas, trop lourd. Niveau textes, Neil Tennant verse dans le soap opera (In Denial, avec Kylie Minogue), dans la redite (New York City Boys souhaiterait réitérer le carton populaire Go West) ou dans une ironie forcée (I Don’t know What You Want But I Can’t Give It Any More). Deux grands titres justifient néanmoins l’achat de Nightlife : le langoureux Vampires, et surtout You Only Tell Me You Love Me When You’re Drunk (dont le seul intitulé mériterait une place parmi les plus beaux titres de chansons jamais conçus). Pour le reste, les PSB frisent parfois l’autoparodie…

Le titre Closer To Heaven (chanson moyenne de Nightlife) permet aux Pet Shop d’assouvir un fantasme : la création, en 2001, d’une comédie musicale (du même titre). La bande originale qui en résulte, hélas, ne convainc personne ; à tel point que les fans hardcore des PSB préfèrent aujourd’hui zapper cet exercice raté plutôt que d’en écrire du mal. Dont acte.

Les Pet Shop Boys? It’s psychological! - Part 2

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