Il n’y pas si longtemps, dans un univers très proche, si proche ; à l’intérieur d’un carton sur lequel maman a marqué « Vincent, 11 ans, printemps 86 ». Entre la pile de cartouches Megadrive et des livres pulp, gît une petite cassette. À l’intérieur vit depuis toujours le fantôme d’un mercenaire oublié, revenu du cimetière des carcasses. Son ombre suffisait à faire trembler les punks à chien et autres gangsters de Metrotown. Son nom… Kavinsky !
Tu es déjà mort !
Arpentant la nuit engoncé dans son Teddy Boy écarlate depuis cette fameuse année 1986 (noms de ses premiers EP), le seul bruit de sa Testarossa suffisait à faire blêmir les brigands des mégapoles. Sa dernière aventure remontait à OutRun en 2013, et ce premier album lui avait ouvert rétroactivement, en plus des discothèques les plus huppées du monde, les grandes portes du cinéma. Laissé pour mort depuis, le discret cavalier de la nuit nous revient avec une séquelle moins sinistre : Reborn. Chant du cygne ou véritable renaissance en puissance ?
Pulsar débute comme on démarrerait une PlayStation One un 25 décembre 1994, son logo au design sonore inoubliable nous hérissant les poils. La bécane en a tout autant dans le ventre que dans nos souvenirs ; les sensations, celles des premiers jours. Elles laissent présager un renouveau retrouvé, un temps maîtrisé. On enfile nos mitaines, préparons nos munitions, tunnons notre véhicule. Courses, bastonnades, ruelles malfamées… que de perspectives grisantes pour un adulescent quarantenaire! Prêt ? 5, 4… Nos cheveux blancs se recolorent… 3, 2… nos pecs se redessinent… 1… Notre héros est de retour, nos onze premières années avec !
Il est entendu que la synthpop utilise bien souvent, mais non obligatoirement, les codes d’une certaine pop précurseure des 80’s, mais avec une devanture nouvelle. La synthwave est autre chose encore. Elle nous persuade qu’elle est une héritière directe de nos sacrées années 80 ; plus encore : qu’elle en est son incarnation. C’est un leurre. La synthwave (ou retrowave, dans sa version énervée) est un pot-pourri hautement sophistiqué de dance music, de lowtech trompeuse et de vieilles bandes FM oubliée tapissant l’inconscient de ces années-là ; un pastiche sonore parsemant nos souvenirs vidéoludiques, publicitaires, filmiques ; une énorme moulinette à mémoire sélective exacerbant les automatismes dont cette décennie est la signature. Un genre dont Kavinsky fût le lanceur, en France, entre autres. Avec Reborn, la voix fluette de Romuald réveille ces chanteurs dont on a oublié les noms, ces morceaux de second tableau passant à l’arrière de nos séries B. Premier niveau facile : on joue des épaulettes, on castagne et BIM – cassage de rotule – BAM – cabriole dans la vitrine – BOUM on élimine easily la vermine de la ville. On trépane d’impatience et hop, on file dans les arcanes de notre souvenance!
Gammes cultes
Comme tout compositeur resté enfermé dans la salle de jeu, Kavinsky nous ouvre à sa safe house, caverne d’Ali Baba pour geeks dont les infinis couloirs de la mémoire seraient remplis de bornes d’arcades aux luminaires brillants et les murs jonchés en K7 vidéo et autres bobines. Des catacombes de l’adolescence aux néons bleutés et rosoyants, froides mais accueillantes. Retrowave oblige, Kavinsky ne peut s’empêcher de produire une musique référencée. Avec ses airs évoquant les Goblin, Trigger nous téléporte dans le Rome de Ténèbres pour enquêter sur de mystérieux meurtres au rasoir, alors que Plasma, lui, nous envoie déboulonner du Terminator, Kavinsky reprenant le fameux thème de Brad Fiedel pour le faire dériver vers quelque chose d’étonnamment plus pop que d’habitude, un peu du même acabit que les morceaux produits par les Daft Punk pour The Weeknd. D’ailleurs, pour vous aider à mieux vous situer : nous sommes beaucoup plus proches du morceau que ce dernier avait été repris de Kavinsky, Odd Look, que des précédents travaux de notre vigilante des platines. On oserait presque penser que sa musique a mué. À y réfléchir, ce n’est donc ni vraiment de la synthpop ni de la retrowave, mais une sorte de retro pop que nous sert son album. Enfantine, en ce sens aride et bas-de-plafond depuis 2006, sa musique devient cette fois adolescente : elle élime ses contours, elle veut plaire. On sort de notre acné pour prendre notre plus belle veste par (pour?) Vanessa. Dans la voiture! On trace, on griffe l’asphalte en caressant de flammèches bleues le macadam, destination Miami Vice!
Quelques carambolages plus tard, on retrouve nos Deux flics dans leurs plus belles chemises avec un fâcheux Goodbye. Le copain Sébastien Tellier descend de la scène comme un Phil Collins, par à-coups, avec des airs solennels, non pas ceux de In The Air Tonight, mais plutôt Long Long Way To Go. Sur un air jazzy, Zenith simule le thème du repos mérité du guerrier. Morceau héritier et suite de Nightcall, celui-ci nous renvoie dos-à-dos avec le génie de Giorgio Moroder (oui, oui – encore lui), alors que le solo de saxo nous remémore, quant à lui, le moment où les parents inséraient Last Trick des Dire Straits dans le mange-disque. Pas étonnant de retrouver dans l’album les amis producteurs Gaspard Augé et Victor Le Masne, dont le premier, en particulier dans son Escapades, faisait ses révérences aux même pontes.
Tapi dans l’ombre, le guerrier solitaire feint de ne pas regarder la pépé se dégourdissant les jambes. Nous, on remplit notre stamina avec un papayou lele devant la marina, avant de briser le verre de haine. Les rues sont des caniveaux géants ; soudain, un cri dans la nuit. On a à faire : liquider la raclure du Flamingo et tronçonner le méchant magnat Mañuelo El Macroniño. Après un très entraînant Zombie, plus de doute : on est bien chez Scarface et Moroder. À l’écoute d’une instrumentale évoquant les pistes les plus iconiques de Moroder (The Chase, etc.) ou de ce fameux gimmick « ouuh-aaah » repêché dans le fameux She’s on Fire d’Amy Holland, on a envie de traverser les difficultés avec l’ardeur des chevaliers, de vaincre cet ultime boss nommé Timidité.
Vincent Belorgey dévoile son jeu. C’est un complet hommage qu’il souhaitait : régressif, simple, humble. Sans tenter de révolutionner le genre cette fois, il fait de son album un gros bac à sable. Celui-ci est truffé ça ou là des figures archétypales du cinéma d’exploitation (le morceau jazzy, le morceau mélo, celui de la revanche, etc.). Outsider, par exemple, commence comme un morceau plaintif de Roxy Music ou des Strokes, mais aussi le Gina’s and Elvira’s Theme. Pour éviter le gadin, on parfait son esquive, on maîtrise son hadoken : bas quart de cercle droit de la manette. Dernière ligne droite : le climax nous attend ; la demoiselle en détresse également.
Alors que l’autre figure française du genre, Carpenter Brut, sort un nouvel album, Kavinsky s’en distingue encore plus par un assouplissement. Moins rustique et revêche, c’est une rétro pop bien élevée, convenable sous tous les rapports. Le senseï n’arrive pas à la chevilles de géniaux élèves l’ayant dépassé comme le suédois Mitch Murder ou les américains d’Oliver (qui signent la feuille de présence avec un remix de Renegade), mais, lui qui leurs a ouvert la voie, se rapproche de la simplicité du samouraï. Et contrairement aux autres congénères de la french touch, Kavinsky ne cherche pas, lui, à dresser des passerelles avec des cultures connexes (hip-hop, variété) autres que la pop. Le monde de Kavinsky se suffit à lui-même ; nul univers étendu ici. Alors que le clip de Cameo rameute en multijoueur tous les copains de la french touch connexion, avec ses copinages improbables allant du rap à l’électro le plus élitiste et dont on n’a jamais vraiment compris les tenants et aboutissants, le morceau, lui, offre un excellent morceau rétro pop renversé sur lui-même. Cameo est un morceau idoine pour ensoleiller l’été qui vient. Et cela n’en est pas plus mal.
Kavinsky délaisse la posture intimidante de son milieu, et s’amuse en solo comme le gamin qu’il a (ou qu’il est) encore en tête, sans snobisme, pour un album joliment naïf, certes pas renversant, mais bien emballé. Cette fois, on délaisse notre héros et c’est elle qu’on emmène mater un film au drive-in du coin, IRL : in real life. Juste le temps pour un inutile hommage aux Daft Punk et à Jan Hammer sur Horizon, et déjà, les crédits défilent. Suffisant pour que notre fou du volant s’évanouisse dans la pénombre de notre mémoire. Il fait de nouveau beau ; tout va bien.
02. Reborn (ft. Romuald)
03. Renegade (ft. Cautious Clay)
04. Trigger
05. Goodbye (ft. Sébastien Tellier)
06. Plasma (ft. Morgan Phalen)
07. Cameo (ft. Kareen Lomax)
08. Zenith (ft. Prudence & Morgan Phalen)
09. Vigilente (ft. Morgan Phalen)
10. Zombie (ft. Morgan Phalen)
11. Outsider
12. Horizon