Beaucoup d’artistes de la scène électronique des années 2000 sont depuis mystérieusement portés disparus. Il y a quelque chose de profondément dure et impénétrable dans ce hasard faisant que tel artiste soit toujours en course ou non. Isolée est seul dans son coin, mais bien encore là, entouré de quelques albums égrenés laconiquement ces deux dernières décennies. Il est pourtant l’auteur d’un tube, un succès qu’on n’a jamais vraiment réussit à comprendre, Beau mot plage (oui, c’est le titre), et qu’on croit né d’une pure incompréhension tant ce morceau à la fois pointu et trivial n’a rien pour plaire, encore moins quand on considère que ce même public, en 1998, a porté aux nus des artistes comme Stardust. Resort Island est son quatrième album, et le première sortie d’un label éponyme.
Île au lait
On ne peut dire qu’on soit accueilli de la meilleure manière à notre arrivée sur Resort Island. Isolée semble vouloir nous dire quelque chose, mais on ne comprend quoi, ayant oublié d’y ajouter des mots. Et alors qu’on considère souvent les albums instrumentaux comme plus parlant que les disques vocaux, Resort Island ne pêche aucune image mentale en nous. Tout du moins, trop rarement.
On a l’impression de ne voir que des étendues infinies et pures de vagues dignes de Windows XP, quelques grains de sables dictant leurs lois aux dunes nacrées. Aucun remous, et c’est bien triste. Les premières pistes sont aussi creuses qu’une vague, aussi plates qu’un encéphalogramme mort. Chez Rajko Müller, il n’y a pas que trop rarement ce mystère abstrait de la suspension, de l’immobilité des peintures vivantes. Et cela ne date pas d’hier : on le considère, à tort peut-être comme à raison, comme l’un des précurseurs de la minimal house. On pourra tout de même applaudir sa fidélité à son propre genre, à ce style (caractérisé par… l’absence de style) même qu’il a créé. Et pourtant – soyons honnête – c’est toujours aussi ronflant, la minimal house n’étant pas le plus amusant, encore moins le plus intelligent des genres. Alors que son premier, Rest (2000), avait un intérêt esthétique, chaque album est allé décroissant en choisissant la radinerie. Celui-ci est donc son plus mauvais. C’est uniquement dans ses minimes incartades à la minimal qu’Isolée nous réveille de la sieste, amorçant une miette de musicalité.
Il est fou comme un morceau dance peut évoquer la potentielle survenance d’un froissement, une tournure partant en sucette. Dance : le terme est un peu excessif, tant la sobriété est placardée partout. Sur Let’s Dence, on a l’impression d’être dans La Plage d’Alex Garland, sans les catastrophes à venir, mais juste des petites, les petites broutilles de la vie des vacances faisant leur sel. Le paradis est une vue de l’esprit, il n’est que transitoire, il s’attrape dans la bribe d’un instant. Il y a anguille sous la roche sur laquelle notre croupe est assise, et pourtant, on tarde à voir la bagatelle! Heureusement, le bon Con O Sin rappellera la sensibilité du si regretté Didier Sinclair, voire le premier album Genetik World de Télépopmusik (notamment Breathe) par ses clignotements s’évanouissant. Elle nous remémore que derrière toutes vacances, se cache la possibilité d’un foirage charriant les tricoteuses du destin.
EasyJet set
Pour autant, Resort Island passera sans indiscrétion en arrière-plan d’un apéro sans folie notoire, bon chic bon genre, idoine quand il s’agit de conserver une certaine décence. Pardon My French excuse partiellement Isolée. Elle rappelle à quel point la French Touch marqua l’esprit des allemands, et combien elle fût souvent alimentée par eux-même. Dans le premier album des Daft Punk, au morceau Teachers, les robots saluaient leurs maîtres spirituels, notamment Tonka, compatriote munichois auquel on pense irrémédiablement à l’écoute de Pardon My French. On apprécie ce léger bruit de sifflement, comme si une note avait sensiblement coloré la fuite d’un pneu qui dégonflerait par une soûlante chaleur. Mais ces îlots d’eau sont trop peu dans cet océan sableux.
C’est une toute autre approche qu’un producteur de musique comme Fakear a adopté avec Talisman, avec une générosité plus grande, nous dirons pudiquement. Un morceau comme Clap Gently est d’une chianteur impossible, et les sonorités ressemblent par leur vieillerie à des flatulences électroniques. Cette mi-techno mi-electronica a été vue et revue, sonnant comme cette mesquine amertume d’un villégiateur désirant une vie autre, plus aventureuse, alors que ses orteils rondouillards et blanchâtres trempent déjà dans la piscine. Il y a pire, certes, mais il y a bien mieux aussi. Isolée fait maintenant une musique de peine-à-jouir, dont la soi-disante sophistication continue à nous échapper par sa transparence. La vie est trop courte, oui, trop courte pour écouter Resort Island en entier.