« My Heart is Empty« , ce sont les mots par lesquels la chanteuse grecque de VASSIŁINA (en majuscules, siouplaît) se présente à nous et ce n’est pas peu dire que cette froideur initiale suffit à susciter notre curiosité (érotique). Le premier morceau donne le ton mais ne prend toute sa saveur que, confronté, à l’électro dark et dance du deuxième, le sublime Bad Omens. La basse (synthétique) envoie une pulsation morbide et lourde de trois tonnes qui berne l’auditeur et l’emmène dans un songe amoureux qui, tout du long, s’avère un contre-sens. Fragments est un disque aux allures sentimentales (la voix y invite, les mots utilisés aussi) mais qui parle de tout à fait autre chose. A l’échelle musicale, il s’agit plutôt d’un équivalent musical du film Titane que d’une version sombre et dérivée de Stina Nordenstam. La sensualité, omniprésente, découle d’une interrogation solipsiste de l’artiste sur son propre corps et son intimité. L’autre est repoussé sur le côté, ébranlé et délaissé face à la force du doute.
Le chant résonne comme s’il était déclamé depuis une boîte de conserve, une discothèque interlope ou le coffre d’une voiture. Not Friends est inquiétant et inhospitalier. « Please dont call my a friend. I am not a friend. » VASSIŁINA sonne comme une reine du contre-pied et du chaud/froid. Il faut se laisser porter par le son indus ET acoustique de Sexyless pour faire l’expérience de cet érotisme 3.0, distant et mécanique. Les progressions sont redoutables et les images impitoyables, mélange de prosaïsme et de vent. Loin d’être glacial, l’ensemble est agité de secousses électroniques mélodiques et caressantes, qui donnent une allure presque emballante et dansante à certains passages. Il se dégage du tout une grâce sombre et fantastique qui fait penser à du Depeche Mode au féminin, débarrassé des tics des années 80. La dimension religieuse et sacrée est évidente du côté de Save Me ou Floating Bones comme s’il s’agissait d’assister à une gigantesque eucharistie.
La seconde moitié du disque est plus dansante encore avec notamment un This Is The Last Song I’m Gonna Write For You qui prend des allures punk à la Siouxie and the Banshees. L’influence de la Grande Soeur gothique et de sa cousine Lisa Gerrard est d’ailleurs palpable dans la musique clairement liturgique et gothique d’un Possession un brin envahissant et caricatural. On préfère quand le groupe sussurre et n’élève pas la voix comme sur le délicat Atihisame qui referme le disque, avant que ne crachouille une reprise électro du premier morceau.
Fragments s’affirme au final comme une excellente surprise et une rencontre aussi troublante que fascinante. La vision est souvent macabre et semblable à la contemplation d’un corps qui se décompose façon puzzle. Elle emplit d’angoisse, de crainte quant à cette forme de schizophrénie cronenbergienne qui affecte l’artiste mais éveille un intérêt, cruel, sournois qu’on ne se connaissait pas pour cette « discipline ». C’est dans le trouble qu’elle produit que cette musique nous infecte.