Federico Pellegrini fait partie avec Armand Gonzales (Sloy, 69) des trésors cachés du rock français. Entre sa carrière au sein des Little Rabbits et ses aventures en solitaire, le Nantais a accouché, en une vingtaine d’années, d’une discographie quasi sans tache, aussi discrète qu’aventureuse. Son précédent album, sous l’appellation French Cowboy and the One, avait impressionné par son ambition débonnaire et son énergie vitale. Pellegrini s’y livrait sans retenue en prenant le risque de se disperser dans de grands écarts stylistiques aussi fascinants que déroutants. Cette fois-ci associé au Western Trio, un groupe de jazz constitué de trois musiciens (Jean-Jacques Bécam, Laurent Hilairet et Fabrice L’Houtellier), le chanteur est allé chercher chez d’autres une rigueur et une cohérence qui ont toujours fait partie de ses points faibles.
Western, le nom de baptême de leur groupe commun, prolonge en apparence (nominale, du moins) l’univers dessiné par French Cowboy. Il suggère néanmoins un passage en mode panoramique, plus ample et plus ambitieux encore et une prolongation classique de nature fordienne (le cinéaste, et pas le fabricant d’automobiles). L’album est clair comme l’eau de roche, tenu de bout en bout par la maîtrise technique du groupe et structuré avec une efficacité redoutable. Finis ici, les enjambements qui faisaient la patte de Pellegrini entre rock, dance music, cabaret et new wave, parfois au cœur d’un même titre. Le Western Trio veille au grain et contient l’énergie de Pellegrini pour faire de lui un homme (!) et un chanteur bien meilleur qu’il ne l’était jusqu’ici. Sur Money, par exemple, titre électro beat remarquable, il est à parier que Pellegrini solo aurait rapidement dépassé le beat primal qui constitue l’ossature du morceau pour cabotiner du côté de Katerine. Au lieu de ça, Western conduit un morceau hypnotique sans une seule variation métronomique et que seuls viennent relever des chœurs délicats. La chanson prend alors des allures de cold wave à la française et de monstre dance punk, complètement fascinant, déroulant sa séquence sur plus de six minutes. Même concentration et recherche de simplicité, sur le beau Stay porté par la voix granuleuse du gaillard et qui prend bien soin de ne pas tomber dans la mesure de trop.
L’album de Western n’en garde pas moins une variété de ton assez étonnante. Il ne faudrait pas caricaturer Pellegrini en doux dingue castré par une bande de jazzmen coincés. Cela reste un grand n’importe quoi habillé à l’ancienne de résonances Americana (Music), spoken word (Feel) ou country folk. Parmi les grands morceaux du disque, on soulignera les magnifiques sept minutes de Breathe qui fait immanquablement penser (par les textes, le chant) aux meilleurs morceaux de Robin Propper Sheppard et à son Sophia désespéré. Le titre est à lui seul la parfaite illustration de ce que Western réussit à faire sur la durée de l’album : imposer une marque allégée en gras et qui marche littéralement sur l’eau. Le titre est d’assez loin le morceau le plus impressionnant du lot, targué d’une progression somptueuse où les cliquetis électro côtoient les guitares atmosphérique. Le crescendo émotionnel et instrumental des deux dernières minutes vaut à lui tout seul le déplacement. L’album garde cette délicatesse et cette précision de bout en bout à l’image d’un final qui réussit autant à mettre en valeur le chanteur à la voix rugueuse emmiellée que le groupe en balais brosse et rythmes de velours. Là encore, l’élégance n’exclut pas, selon les règles du free jazz, l’aventure et la dérivation. Cela peut tout aussi bien démarrer en stoner punk (Same Song) pour accoucher d’une expérimentation brillante à la Sonic Youth.
C’est en premier lieu pour cette capacité à utiliser au mieux, et sans jamais la gaspiller, sa liberté que se précipiter sur l’album de Western est probablement la meilleure chose à faire. On y entendra à coup sûr une jolie leçon de choses en même temps que sautera aux oreilles la différence, le gouffre qui sépare la musique indépendante et stimulante, pétillante et ultracréative d’un Pellegrini et les sursauts académiques et apprivoisés de la musique industrialisée.