Sirens of Lesbos / Peace
[Sirens of Lesbos Records]

7.3 Note de l'auteur
7.3

Sirens of Lesbos - PeaceSirens of Lesbos est l’illustration même du petit groupe travaillant dans son coin et se voyant gratifier d’un succès qui le dépasse, une sorte d’accident du hasard qu’il ne quémandait même pas. Depuis le succès du single Long Days, Hot Nights et sa plâtrée de remix en 2014, le groupe suisse s’est affirmé comme un quintet de soul électronique, et élaboré son premier album en catimini, SOL, en 2020. Peace se veut la suite directe.

On a tendance à remarquer, en ces pages, que beaucoup de genres de musiques tardent à muter – disons même, à disparaître, bon gré mal gré – inflation de l’offre musicale et nostalgie humaine oblige – pour renaître en d’autres formes, parfois plus expansives encore que leur forme originelle. La pop des années 1980 trouve son reflet fantasmé dans la synthwave, et on retrouve un fantôme de la première, tout juste plus discret, généralement dans la synthpop. Soit partout. Le jazz a toujours sa forme disons « traditionnelle » et ses variantes, mais aussi le récent chill hop / nu jazz, variante exclusive et digitale à notre temps, né de l’effondrement de la barrière à l’entrée technologique de la prod musicale, avec le lo-fi digital et le DIY. On peut en dire tout autant avec le hip hop et la soul (pas le r’n’b, bizarrement) des années 90, avec un nouvel apparat, celle des beatmakers doués mais souvent dans l’attente d’une reconnaissance qui tarde – et dont on peinerait à trouver une dénomination. Sirens of Lesbos arrive pile ici.

Aller d’Ibiza en Lampedusa

Cette musique est un fantasme, une image exacerbée de souvenirs. Et cette exagération – là est l’incroyable – est le fait d’instruments et de logiciels tous plus modernes. L’excellent Baybaybae nous rappelle les cassettes qui se débinent, les sautes de pistes, les marches arrières, voire même la brume auditive entourant le message d’un répondeur. C’est la technologie se moquant de la technologie, la plus parfaite et récente mimant la plus ancienne pour nous faire désirer les aléas de l’hier. Nous voilà dans des ambiances chatoyantes des radiateurs, solitaires des penthouses urbains. À la fois dans un divan agréablement rembourré et devant des statues de Richard Orlinski aux arrêtes arrêtées ; une énorme pièce déserte donnant sur une fourmilière urbaine. La musique se voit enrobée d’un cœur moelleux autour d’une surface glacée rappelant des artistes comme Wayne Snow et tout autre membre du label Roche Musique, comme le producteur LaBlue et la chanteuse Astrønne. Les morceaux s’imbriquent entre eux, comme un mix. Sur cette cassette… euh, ce disque – enfin, cet album – le groupe a convié à la fête quelques beaux invités. Le remarqué dreamcastmoe glace tellement Everything que son climat en devient brûlant. Treasure Bloom est assez stupéfiant, et donnerait presque envie de rapper dans un bain chaud. On aurait bien vu Wesley Joseph au casting – si jamais le groupe nous lit, c’est cadeau. La brise est sèche et fraîche ; c’est le matin, les rues sont encore désertes ; il fait délicieusement froid.

La croisière barbote

On a l’impression d’errer dans la vastité vide des vernissages, mais il fait chaud, le saxo nous réchauffe le dos. C’est bien une musique de notre temps, à même de nous rendre plus supportable l’époque, nous lovant dedans. Et pourtant, on a l’impression de suivre un élément minéral, d’être une petite monade vivante appréciant sa solitude, prête à embrasser chaque facette de la terre. Les guitares, déjà présentes sur SOL – fait assez rare dans les albums de ce genre – passent en trombe comme des folk. On s’imagine aller de la proche banlieue au cœur urbain, les yeux émiettés par la fatigue, sous un cache-nez. Le groupe improvise une reprise toute cosy couça de The Beloved pour mieux affronter la jungle urbaine. Sur Run Run Run, on court court court devant le How Many Miles de l’album précédent, probablement revisité par I’m So Excited de The Pointer Sisters. Bref, le groupe continue son petit bonhomme de chemin entre les îlots chimériques de la soul éthérée (Peace est d’ailleurs plus soul que SOL), du hip-hop feutré et d’une lo-fi à la japonaise, évocatrice, sans pour autant sonner DIY. Les interludes diffèrent peu entre eux, mais sont agréables, ce qui n’est pas rien de nos jours. On rapprochera l’album du récent et bon It’s OK, B U de Kiefer, compositeur de jazz électronique. On beigne dans les eaux de Sirens of Lesbos comme un coq en pâte dans la mer rouge, cédant sans résistance aux sirènes. Gage à elles de nous transformer définitivement en triton avec leur prochain album.

Tracklist
01. Bowie (ft. Erick The Architect)
02. Baybaybae
03. Run Run Run
04. Felizitas
05.After The Beep
06. (I don’t know, I don’t know, I don’t know)
07. My Bruddas In Arms (ft. Treasure Bloom)
08. Easy
09. Weeping Pine
10. Everything (ft. dreamcastmoe)
11. Sweet Harmony
12. Candid Mess (ft. Joshua Idehen)
13. 8 Billion (ft. Bootsy Collins)
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