Oui, les mamans ont, elles aussi, cette envie de fermer les yeux, de lever les bras et d’onduler du corps dans un coin de foule, jusqu’à la pointe de l’aube. Cela faisait plus d’une décennie que l’on attendait une suite à l’épiphanique Sex Dreams and Denim Jeans (2010) d’Uffie, dont l’embryon est apparu subrepticement sur une sombre page MySpace un beau jour de 2006 pour disparaître tout aussi brutalement cinq ans plus tard, ayant incarné, à proximité des aventuriers français d’Ed Bangers alors qu’elle sortait à peine de la minorité, l’initiatrice d’une PC music (ayant perdu son nom aujourd’hui, puisqu’elle est) devenue la norme, et première de cordée d’autres artistes féminines comme Dev, M.I.A. et Dua Lipa, divas ayant barboté dans les eaux de la pop alternative. La chanteuse s’était volatilisée pour protéger son nid familial. Mais après un retour par la petite entrée à travers un EP assez bien (Tokyo Love Hotel) il y a de cela deux ans, voilà qu’Uffie se décide à jeter définitivement les couches, les mioches (c’est une métaphore!) et l’eau du bain avec.
Uffie au pays des bédos
Il faut dire qu’à l’écoute de Cool, on s’était montré plus que dubitatif et inquiet, et à juste raison étant donné la piètre qualité du titre. Pourtant, Sunshine Factory démarre à toute berzingue avec un mvp qui file droit, énergique et rock, de cette rage des victorieux nouvellement vengés. Pendant que notre mère (qui ne souhaite, comme toute mère ayant des ados dans les pattes, qu’une chose, souffler et avoir son après-midi libre) nous réclame à la voiture pour nous emmener au bahut (quelle tannée!), on s’applique le gloss le plus voyant – celui qui fera son effet – et on met à fond le morceau après avoir laissé un beau baiser d’au revoir au miroir. Le morceau aurait mérité d’être un peu plus long, mais nous voilà parées pour affronter le regard moral de la faune pubescente et claquemurer tous small talks. Mini-bitch jusqu’au bout des ongles, prickling skin nous donne une allure de petite Lindsay Lohan ayant gentiment vrillé et détalant du bachot. Le titre, ne détenant, comme les autres, aucune majuscule – car oui, on n’a pas de temps à perdre quand on textote – rappelle ce que le rock généraliste des années 2000 offrait de mieux avec The Strokes et Gwen Stefani ou, plus midinette énergique, Avril Lavigne. Uffie apparait sur ses titres rock comme une grande Beabadoobee plus mûre (c’est normal!) et intelligente (c’est normal aussi!). Du premier album, on retrouve un esprit néo-beatniks pour paléo-hipsters, mais une route qui aurait été remplacée par l’itinéraire des villas des copains et fêtes du coin ; bref, un souffle néo-punk et art pop se traduisant dans des paroles abstraites et référencées (on retrouve la métaphore femme-bolide et quelques auto-citations) et, à l’échelle de l’album, une structure aussi décousue que nos collants effilochés. On imaginerait presque facilement prickling skin illustrer une publicité Levi’s ou … Diesel.
Pendant ce temps-là, la matriarche croise ses bottines sur la table dans une chambre tout aussi bordélique que celle de sa progéniture, et se pose une question existentielle : where does the party go? Maman n’a pas perdu le goût pour la nuit blanche. La piste est fidèle au chaos d’une ex-reine de lycée reconvertie en mère, là encore trop prématurément. Un peu plus loin, elle se confie sur une adolescence consommée trop rapidement et les angoisses de solitude en découlant. Reformulons la question : qu’est-ce qui a bien pu changer entre le premier album et celui-ci?
Bon, premier élément de réponse : ces thèmes du doute qui la traversent, moins fanfarons. Quant à la musique, elle se démarque de celui-ci avec un mélange de rock indé, de l’indie pop et du punk-ska mélangés pêle-mêle à une pâte électro, mais moins unifiée, alors que Sex Dreams and Denim Jeans était harmonieusement versicolore et diapré, faisant la part à des mélanges audacieux de rap et de dub. Et pourtant : Sunshine Factory sonne comme si celui-ci avait été conçu au milieu des années 2010, soit en somme qu’il était l’album annulé de 2013 ; mais comme si il n’y avait pas eu de rupture. Pas qu’il soit anachronique, pas du tout ; au contraire : il ne sonne plus pionnier. Il est (presque) la norme, une norme qu’elle aura contribué à définir. La piste anna jetson confirme cela avec ce gloubi-boulga pop et d’eurodance 90’s à la Snap!, rappelant alors ce moment, entre 2009 et 2011, où des artistes plus confidentiels (des contemporains de sa période, M.I.A., Yelle en France) d’abord, suivis par les stars américaines (Rihanna, les Black Eyed Peas, Pitbull, Madonna évidemment, citée d’ailleurs texto dans where does the party?, etc.) ensuite, ont investi ce que l’on n’appelait pas encore l’EDM pour fusionner avec.
Ma fille, je me suis prise une biture
Sunshine Factory coïncide avec ce retour tôtif de l’esthétique indie slaze (la blogosphère et ses tréfonds, Tumblr, Kate Moss et ses fripes rétro, la scène club post-Y2K) du décade 2000, ce style mi-bricolage arty mi-numérique des premiers pas, un peu maladroit mais pas aussi hygiéniste qu’aujourd’hui, que l’album, s’il a ce mérite, met à jour. Les intermèdes, complètement dispensables étant donné leur extrême vulgarité (on y parle joints, soirée et univers hallucinogène), constitués de messages vocaux d’amis pré-beuverie, rappellent ce que l’on pouvait entendre dans des téléréalités (pour le coup, hilarantes!) sur MTV comme The Simple Life, avec des Paris Hilton et Nicole Richie complètement azimutées. Ils sont un prétexte pour convier quelques pointures du milieu de la pop alternative (Peaches, Teddy Geiger, Ilona Verley), mais uniquement au stade de la figuration. Quel dommage de ne pas s’être entouré d’elles pour marquer le retour !
Pour Toro y Moy et Lokoy à la production, passer après SebastiAn et Mr. Oizo, ce n’est pas chose aisée. Unique excursion dans l’univers psyché d’Uffie par un artiste tiers, le talentueux NNADMÏ injecte une aura un tantinet R’n’B dans a month of mondays, conférant à l’ensemble un accent primesautier mais aussi un sentiment d’échec (positif) s’étalant au ralenti. La trépidante dominoes semble presque désuète. Elle nous rappelle ce temps doux et cruel du collège des années 2000, à mâcher des gommes, les cheveux allongés sur le front. Mais, cette jeune fille et cette jeune mère, ne seraient-elles pas, à quelques années près, la même et unique personne? Ou alors des doubles décalés, un couple mère-fille pas si éloigné par l’âge? Eh oui : Uffie témoigne de cette incapacité d’accéder à la maturité (« How come we keep acting like we’re seventeen? ») et des obligations de la maternité, sorte de Dorian Gray apparaissant toujours comme la femme-enfant qu’elle était, toujours aussi jeune, à peine vieillie. Alors on relance alors les dés, mais en venant à un autre constat étrange : sophia sonne comme du SOPHIE, alors que giants, dans son usage de l’auto–tune, nous fait penser à Charli XCX. En somme, c’est la mentor qui s’inspire de sa descendance (artistique ici). C’est tout comme si elle était devenue excessivement humble, allant faire l’aumône (c’est exagéré, mais vous saisissez l’image!) chez des artistes qu’elle a, à sa manière, dans l’inconscience de tous, forgés, tout du moins influencés ces quinze dernières années. Et c’est un peu le problème.
crowdsurfinginyoursheets démontre une spontanéité rendant la piste (mais aussi l’album!) difficile à décrire, la voix flagada d’Uffie s’attifant d’un piano intimiste et d’une rythmique feutrée chillhop. Le nouvel album d’Uffie nous apparait alors d’une franchise impensée, d’un premier élan d’énergie ayant l’erreur de se voir gravé instantanément dans la roche. Nous nous en voulons de la ramener systématiquement à l’aune de son premier album : il est malsain pour un artiste de faire cela. Mais l’exercice nous y oblige tant l’épaisseur de Sex Dreams and Denim Jeans était d’une plus grande prodigalité dans ses expérimentations, et tant ce Sunshine Factory nous le rappelle comme une version diminuée, attrapée à la première prise. Un excellent exemple illustrant cette hâte réside dans le passable Cool ; il se trouve qu’il existe une version alternative, remixée par NeverHaveIEverFuckedABlonde, mouvante et spongieuse, qui aurait eu toute sa place dans l’album. Peut-être qu’Uffie était plus qu’elle-même à l’époque, trop entourée d’une géniale clique ; que son premier album était trop avant-gardiste. Peut-être qu’il faut laisser faire les choses. Alors maintenant, nous allons nous taire, faire comme si de rien n’était, nous endormir, afin qu’elle nous revienne, nous l’espérons, commettre un tapage comme il se doit.