Sloy / Electric Live 95/99
[Nineteen Something]

8.8 Note de l'auteur
8.8

Sloy - Electric Live 95/99Les puristes préfèrent les disques live qui sont enregistrés d’un seul tenant, ce qui n’est pas le cas de ce live de Sloy qui en dix titres s’invite sur 6 concerts différents, 6 salles et sur un laps de temps 95-99 correspondant à la brève et fulgurante carrière du groupe « rennais » (d’adoption). C’est à peu près le seul reproche qu’on pourra formuler pour tenter de résister à la déferlante de fureur électrique, de cris, de jappements qui s’abat sur nous à l’écoute de ce témoignage exceptionnel de ce qui reste peut-être, avec le recul, le plus grand groupe français de rock indé de l’histoire. On a nous même supposé que le Noir Désir de 1992, période Tostaky, libérait, en son genre, une puissance indépassable et qui débordait des scènes de festival et des stades dans lesquels ils se produisaient. Sloy a oeuvré un peu plus tard à une échelle moins spectaculaire, moins populaire et dans un registre (le chant en anglais) qui en a fait l’un des seuls groupes français (avec les Thugs et avant la french touch) à pouvoir aligner de solides références anglo-saxonnes. Trois décennies plus tard, les débats historiques ont assez peu d’importance. Plus grand monde ne se souvient de cette époque rendant caduque l’idée de savoir à rebours qui avait la plus grosse et celle capable d’aller dans les coins.

Les oreilles ne mentent pas et n’ont pas d’âge. Elles se précipitent sans y prendre garde dans le Pop qui ouvre ce live sans rien y comprendre. « Ok merci », accueille un Armand Gonzalez qui a visiblement déjà commencé sans nous. On est cueilli par le son de basse bourdonnant puis par la batterie survoltée. Bienvenue dans l’univers radical et définitif de Sloy. Avec Cyril Bilbeaud et Virginie Peitavi et donc Armand Gonzalez au chant et à la guitare, on a le sentiment que l’on se tient devant un orchestre électrique et punk d’au moins vingt personnes. Ils ne sont que trois, la trinité parfaite, la matrice-son nucléaire qu’appelait l’ami Dantec dans Cosmos Incorporated. Gonzalez jappe comme un chien en chaleur. On pense à un mélange azimuté du Panther Burns d’Alex Chilton et Tav Falco, des Pixies et de Fugazi… mais en mieux.

On ne se souvenait pas à quel point le son de Sloy était puissant et métallique, rock et indus à la fois, mais aussi souple et agile comme un lynx, tantôt embarqué dans des territoires post-punk à la limite du cold wave par la basse de Virginie (cette fameuse influence de Hook et Joy Division), tantôt plus américain et tendu vers le post-hardcore d’un Nation of Ulysses, Fugazi et autres punk bringuebalants à la Bad Brains. De ce courant américain, Sloy reprend une sorte de frisson funk hérité des rockeurs primitifs, une capacité à aller pousser au delà de ce qui est acceptable qui échappe souvent au rock anglais. Many things (to wear) est comme retenu par une bride invisible sur sa première partie, puis dépassé par sa propre énergie.Le groupe tient la barre face à une colère et à un mouvement qui l’emmènent au delà de lui-même. La musique de Sloy est une musique du débordement et du contrôle, une musique où l’expression et l’impression se font la guerre pour savoir qui va l’emporter sur l’autre.

A la manière de ce qu’on rencontre dans le jazz, ou dans les concerts du Velvet Underground, les instruments et le chant semblent souvent s’opposer et s’entrechoquer plus qu’ils ne se complètent ou se répondent aimablement, sans que la lisibilité en sorte affectée. La ligne est claire mais les motifs distordus. Exactly est un morceau qui frôle la perfection. Sa modernité jusque dans les inserts du milieu est épatante et le chant de Gonzalez incroyable. La batterie claque comme un fouet, tandis que le travail des guitares rappelle les meilleures heures de Keith Levene chez P.I.L. C’est dans ce voisin/cousin post-punk prestigieux qu’on peut peut-être aller piocher les meilleures références, tant ce live nous renvoie aux enregistrements un peu pourris et dissolus des premiers pas du groupe d’après les Pistols. Alors que les P.I.L voulaient tout mettre à sac, ils ont juste poussé plus loin les lois du genre, durcissant le ton parfois, désossant, déshabillant avec pour résultat, non la fin de toutes choses, mais l’explosion d’un modèle plus turbulent et dérangeant.

A l’échelle française, Sloy évolue dans un registre similaire : c’est le groupe de l’après rien et de l’avant pas grand chose, une sorte de météorite lancée à toute vitesse et qui n’aura finalement donné naissance à aucune filiation directe. Seul Frustration, sur d’autres origines, rivalisera en intensité avec le trio. La beauté de ce disque nous renvoie à ce moment fugace où le rock français furieux a eu un présent sauvage et actuel. Tubes, Bull, Eat Your Toy et les morceaux de Planet Of Tubes sont encore plus techniques, plus solides, plus massifs. Après la furie de Plug, le groupe bénéficie d’un peu de temps pour composer. Les chansons sont passionnantes. On peut préférer les titres de ce deuxième album à ceux de Plug, généralement mis en avant comme le chef-d’œuvre du groupe. Le Electric Live nous conforte dans cette idée, sans même convoquer dans la tracklist le single Idolize qu’on aurait adoré retrouver ici. Le final (en 3 pièces) reprend les plus tardifs extraits du 3ème et dernier album, Electrelite. Deux années ont passé et le groupe américanise encore son approche. Le son est encore plus lourd et les chansons plus ouvertes. La rythmique est mise en avant, ouvrant des décrochés étranges vers des mouvements de danse, d’excitations du bassin, mi-disco, mi-dinguerie du delta qui rappellent les messes d’Alan Vega et d’un Elvis défoncé au beurre de cacahuètes. Sur le live, c’est I’m Electrelive qui impressionne comme si on s’approchait de la fin. Le chant est plus moche, moins mélodique. Spermadelic a des allures de vieux morceau de The Fall, aussi primitif et entêté. L’ambiance est moins fun comme si l’ensemble se tendait et s’engorgeait dans sa rage.

On ne sait pas trop pourquoi et comment ça se termine mais peu importe. Cet Electric Live ne raconte pas tant la trajectoire du groupe qu’il nous offre une capsule façon amphétamine à gober d’une traite pour s’enjailler à l’ancienne. Il aurait été amusant de baptiser le disque Electric Chair Live, parce que c’est la sensation qu’on éprouve à l’écoute (l’odeur de poulet grillé en moins), ce sentiment d’être traversé par un éclair d’étincelles, un flux d’électricité grésillant, incendiaire et déchaîné qui avait en lui la capacité de réveiller et d’animer les morts.

Tracklist
01. Pop
02. Game
03. Many Things (To Wear)
04. Exactly
05. Tubes
06. Bull
07. Eat Your Toy
08. The Elect
09. Spermadelic
10. I’m An Electrelite
Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Pram à Vendôme : le petit théâtre de l’étrange et de l’extraordinaire
On aura, pour des raisons logistiques, pu assister durant cette belle soirée...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *