Watine / Errances Fractales [Catgang]
NOX / In a Heartbeat [Autoproduit]

Note de l'auteur

8.6
8.6

Watine - Errances FractalesC’est idiot mais, après tout ce temps, on craint toujours un peu d’aborder les disques instrumentaux. Pas que ceux-ci le soient tout à fait : ils parlent à leur manière. Les disques instrumentaux disent souvent autant que ceux qui chantent mais prêtent plus le flanc à l’usurpation et à l’occupation par nos propres états d’âme, si bien qu’on se retrouve souvent à parler plus de nous que d’eux, en leur attribuant des « paroles » silencieuses qu’ils n’ont jamais prononcées. Grouper les efforts critiques est un moyen de contourner l’obstacle et qui permet de faire parler les écarts et les styles, d’une autre manière. Cela tombe d’ailleurs souvent sur Catherine Watine, dont on avait étalonné le précédent album avec celui de Cécile Séraud.

Watine / Errances Fractales

Cela n’est pas tout à fait un hasard : le travail de Catherine Watine semble souvent se déployer et s’entendre en solitaire. Ne démarre-t-il pas sur un décompte du temps, un battement d’horloge ou de cœur ? Comme si l’artiste, dans l’ombre, attendait que le temps passe ou que quelque chose survienne : la mort, la vie, un événement qui permette à la machine de s’ébranler. Étrangement, pour une œuvre qui semble avant tout une affaire personnelle, à peine partagée par l’emprunt d’un sample et quelques guitares sur Childhood’s Attic, Errances Fractales est un disque ouvert et formidablement tendu vers « ce qui peut arriver après ». Si son précédent disque, Intrications Quantiques, était marqué par la contemplation et l’exploration d’une forme de surplace, Errances Fractales (on avoue que ces titres alambiqués nous perdent à chaque fois) est un disque qui revient au mouvement et glisse sur la flèche du temps. Il y a une vivacité dans l’approche, une idée de progression qui passe de titre en titre, qu’on regarde vers le passé (Old Fashion Romance), qu’on rentre en soi (Inner Reflexions), qu’on aspire à finir la journée (Carry The Day) ou à aller de l’avant (Moving Forward). Le temps chez Watine est organique et matériel. On l’entend qui glisse entre les touches, qui craque aux entournures : temps-vague sur le final du beau Less Is More, ou temps-craquelure sur The Wobbling (« vacillement » en anglais), chaque seconde est marquée et comme gagnée sur la suivante. La production est remarquable et peut être lue comme une sorte de sommet artistique pour une artiste qui fait désormais cohabiter, dans une discrétion complète et une égalité remarquable, son passé électro et un classicisme minimal. Le mélange des deux produit une musique à la fois délicate, évanescente, voire quasi spirite, mais aussi formidablement terrestre et proxime. Le livret intérieur du CD ne s’y trompe pas. Dessiné par Guillaume Mazel, il mêle au crayon gras ou gris des motifs psychédéliques, organiques et végétaux comme si Dali se piquait d’entomologie humaine. Les morceaux sont volontairement mystérieux et assez difficiles à élucider. Flats and Sharps est une proposition presque terne mais dérangeante qui ouvre sur le jour presque sans lumière d’un I’m Not Blind, qui semble pourtant dire tout le contraire. Plus on avance dans le disque et plus on pense, non pas aux références musicales qu’on convoque habituellement pour parler de Watine, mais aux travaux d’Henry James. On pense au Tour d’écrou, bien sûr et toujours, mais aussi à des balades sombres comme les Ambassadeurs ou la Coupe d’Or. Dans le premier, le protagoniste part à la recherche du fils de sa fiancée qui s’est fait la malle. Le second est une histoire de couple et de tromperie qui préfigure ce qu’on peut lire ensuite chez Updike. Il y a chez Watine cette même écriture volontairement réaliste et concrète que chez James mais aussi une application et une sophistication économe qui confèrent au tout une capacité à nous projeter dans un ailleurs quasi fantastique et à la valeur poétique universelle. On n’exclut pas de raconter n’importe quoi mais l’émotion est si palpable et affleurante sur une pièce comme Carry The Day, qu’on en arrive à partager la douleur qu’on perçoit derrière sans que rien n’ait été dit. Tout cela se fait (contrairement à ce qu’on laisse croire) avec une telle facilité, une telle vivacité que Watine n’est jamais prétentieuse, difficile d’accès ou pompeuse. L’errance du titre nous entraîne dans un magnifique Timeless Wandering qui est peut-être notre pièce préférée ici, balbutiante et qui éclot au fil de sa création. Il y a dans ce morceau un mouvement irrésistible de retour à la vie qui fait penser à la rencontre (pas si) improbable de Debussy et Copland. On peut considérer que d’autres morceaux agissent plus comme des passages ou des transitions. C’est le cas d’un Pattern of Recidive qui nous rappelle d’autres morceaux et tente de se trouver une voie d’accès parmi tous les possibles. Le dernier tiers de l’album est musicalement plus romantique, plus bavard à l’image de l’insolite et splendide Childhood’s Attic. Watine fait parler les murs et les instruments. Elle accueille la voix du temps et la cerne pour la passer à la question et faire résonner les souvenirs au présent. On peut lire ces Errances Fractales comme une tentative de recollection, de récupération des morceaux, une quête, une aventure. C’est ce que suggère le final presque épique d’un titre comme A Praying Sky. On pense aussi à l’enfantin Starbright and the Looking Glass de Jonathan Luna (une BD), pour le mélange d’action et de naïveté. Que nous réserve l’avenir ? Si on savait… Errances Fractales est un compagnon d’incertitude parfait. Il réchauffe le cœur (le cuivré Gently Missing) et nous prend par la main pour nous inviter à le suivre puis à poursuivre notre chemin comme s’il n’avait jamais existé. C’est le bol de soupe ou la tasse de thé qui attend le visiteur à la porte, le café d’accueil ou le bol de lentilles, l’expression d’une hospitalité sans borne, ni œillères, qui fait de l’homme un homme.

Nox - In a heartbeatNox / In a heartbeat

C’est cette même humanité qui nous accueille d’emblée dans le nouvel EP de NOX dont on avait déjà rendu compte du premier album, Toi et Moi. Probable que Lucas Noire (Nox) et Catherine Watine ne se soient jamais écoutés (on en sait rien après tout), mais il y a comme une coïncidence troublante à l’entrée du H. et premier morceau d’In A Heartbeat à être (ac)cueilli par le son d’un rire ou l’expression d’une joie d’enfant. Les cinq pièces qui dessinent ce mini-album sont désignées par une lettre. Elles forment à elles cinq le calligramme du mot Hopes (H.O.P.E.S) dans un jeu primitif mais malin et qui donne le ton, bienveillant et empli d’amour, d’un EP lui aussi extraordinaire par sa pureté d’intention et par son exécution millimétrée.  Lucas Noire n’en est encore qu’à ses débuts en tant que pianiste, mais cela ne s’entend qu’à travers la fraîcheur infinie de son jeu. Chaque touche, chaque note est bouillante, vive, pressée comme si on l’entendait pour la première fois. Le EP est habité par l’expression d’un espoir dévastateur, une dédicace à sa fille (qu’on imagine jeune, très jeune, huit ans ou environ) et à la femme qui partage sa vie. L’intention transpire de partout et confère à sa musique, discrète, parcimonieuse, un enthousiasme et une clarté sidérantes. Il y a plus virtuose que Nox, plus romantique, plus disert, mais difficile de faire plus juste que sur les quatre minutes et quelques d’un O. qui est rond et enveloppant comme son nom. Le piano est lumière, chaleur. Il touche comme un baiser et donne le sentiment qu’on nous donne l’accolade, qu’on nous a invité. Le EP est parcouru par une grâce qui fait penser aux épiphanies majestueusement éclairées des films de Terrence Malick. On pense au repas de famille dans The Tree of Life, dont la musique était composée par le français Alexandre Desplat. C’est à ce Parisien parti aux Etats-Unis qu’on pense ici, pour sa science du piano et des notes qui soulignent, et qu’on retrouve chez Wes Anderson comme chez Frears ou Polanski. Nox se hisse à ce niveau, comme imprégné d’une certaine conception du piano classique qui, comme chez Desplat, semble prendre sa source dans la modernité raffinée mais vive de Ravel et Debussy (encore lui). Il ne faut pas s’y tromper. C’est de là d’où part toute la modernité minimaliste des Reich, des Kosemura et des Richter d’aujourd’hui. On se sent incapable de dire quoi que ce soit d’un P. qui est parfait d’équilibre, de poésie, de beauté de bout en bout. Il n’y a pas une seconde à soustraire des quatre minutes trente huit secondes du morceau : la construction est superbe, l’intégration des voix relance le titre au bon moment, et mène à une fin qui est gérée comme on pousserait un dernier soupir.

Le E. est plus expressif et peut-être un peu moins maîtrisé, ce qui met en lumière la seconde partie du titre (à partir de 2 minutes), laquelle renvoie, pour le coup, trait pour trait et touche à touche aux travaux de Kosemura, sur la répétition et le poids des notes. Le motif à quatre notes est impressionnant d’efficacité, laissant passer la lumière, quand elles s’écartent, pour la refermer peut-être un peu rapidement. On voit sur ces quelques morceaux la différence entre une Watine qui étire le temps et un Nox qui (pêché de jeunesse, peut-être) n’ose pas encore allonger la main et tirer sur sa cigarette entre les séquences. L’espacement et la pulsation se rendent des comptes de manière merveilleuse pourtant sur le dernier morceau, S., bien sûr, qui serpente (elle est facile), hoquète et tirebouchonne comme un rouleau de cotillons. Il y a vraiment beaucoup de musique et de coeur dans ce H.O.P.E.S, une vraie générosité lumineuse portée par l’amour des siens qui est communicative et apporte à l’auditeur une sérénité et une foi inespérées.

Le piano est-il plus humain que la guitare ? Vous avez quatre heures. « I will always be there, and i am happy. »

Tracklist

Watine/ Errances Fractales 

01. Less Is More
02. The Wobbling
03. Flats and Sharps
04. I’m Not Blind
05. Carry The Day
06. Sad Lies
07. Inner Reflexions
08. Timeless Wandering
09. Pattern of Recidive
10. Old Fashion Romance
11. Childhood’s Attic
12. A Praying Sky
13. Moving Forward
14. Gently Missing

Nox  / H.O.P.E.S

01. H
02. O.
03. P.
04. E.
05. S

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